Je n'avais jamais vu mes grands-parents paternels, sauf peut-être à quelques réunions de famille inopportunes. Mon père, dès qu'il l'avait pu, avait quitté la maison de mes grands-parents et refusait de me parler d'eux. Tout ce que je savais, c'est qu'ils étaient étranges. Et malgré le fait que mon père avait totalement coupé les ponts avec eux, cela ne les a pas empêchés de nous faire hériter de leur maison. Maison dans laquelle nous comptions emménager.
J'y suis arrivé après le déménagement, n'ayant pas participé à celui-çi. La maison était un peu délabrée, mais quand les travaux seront finis, elle sera magnifique. Néanmoins, il y avait le grenier. Mon père m'y avait fortement interdit d'y aller et ma mère avait aussi rabâché cette interdiction. "Ne t'aventure pas dans le grenier, car c'est la pièce la plus en ruine et dangereuse, le toit risquant de s'écrouler. Les travaux ne sont pas encore commencés, donc n'y entre absolument pas."
Le premier mois de mon arrivée, pendant les grandes vacances, mes parents étaient partis en voyage sans moi, donc ma grande-soeur de 21 ans qui n'habitait plus avec nous dut me garder. Les deux premières semaines se déroulaient bien, j'appréciais de voir ma soeur au même rythme qu'avant. Un matin où je m'ennuyais tellement que j'en étais rendu à essayer d'enfin réussir à faire des pompes, ma soeur entra dans ma chambre et me dit :
"Bonne nouvelle, je nous ai enfin trouvé une activité : ranger le grenier !"
Je l'ai suivie, peu importe le fait que nous n'avons pas le droit d'y entrer et que je déteste ranger ; je m'ennuyais. Le grenier était une pièce de taille moyenne, dont le parquet craquait doucement à chaque pas. Par les quelques hublots qui nous servaient de fenêtre se profilait une chaleureuse lumière qui éclairait légèrement l'endroit. Il faisait froid dans la pièce, qui était traversée par des courants d'air, sûrement dûs au fait qu'il manquait certaines parties du toit. Le lieu était très encombré aussi, rempli par une multitude d'objets variés. Sur une vieille toile reposait un amas d'épingles à nourrices. Une fine couche de poussière se reposait dans les coins et sous les meubles. Le tout donnait une atmosphère calme, confortable et magique au lieu noyé dans la sérénité.
Nous commençâmes à ranger, ce qui prit plusieurs heures pour trier les objets. la plupart finirent dans la poubelle, mais j'avais réussi à récuperer quelques babioles, dont plusieurs correspondances qui finiraient dans ma collection, une boîte vide et une clé rouillée. Vers la fin du rangement, ma soeur me dit :
"Viens voir, j'ai trouvé quelque chose !"
Je me dirigeais vers son côté. Elle tenait ce qui semblait être un vieux mannequin articulé, un peu poussiéreux, mais bien conservé.
"Qu'est-ce que tu vas en faire ? lui demandais-je.
-Le garder, bien évidemment ! C'est parfait pour dessiner !"
J'avais lu suffisamment de romans d'horreur ou de nouvelles fantastiques pour savoir que c'était comme ça que les péripéties commençaient. je déclarais fermement :
"On ferait mieux de le jeter. Ce n'est pas une bonne idée de garder des trucs comme ça.
-Hé ho ! Ma soeur fit de grands gestes devant moi comme si elle chassait une horde de mouches. On sort de son univers parallèle ! J'en ai besoin ! Et il est en super bon état."
En affirmant ceci, ma soeur fit bouger l'une des articulations du mannequin, ce qui lui arracha une plainte crissante.
"Je le garde. Fin de la discussion."
Et nous continuâmes à ranger sans rien échanger.
La nuit suivante, j'éprouvais du mal à m'endormir. Dès que je fermai l'œil, je voyais le visage du mannequin. Ce visage vierge, dénué d'expression, mais pas moins terrifiant. La nuit me sembla tout à coup terrible et froide, sombre et mystérieuse. Je ne fermai pas les yeux de la nuit qui restaient braqués sur mon réveil phosphorescent. Le jour qui arriva me semblait sublime et libérateur et malgré ma fatigue, je me levais joyeusement de mon lit, soulagé de cette peur. Je m'habillais en chantant une mélodie joyeuse et en arrivant devant la porte, m'arrêtais soudainement. Étrangement, je ressentais une appréhension qui me donnait un haut-le-cœur. J'ouvris doucement la porte qui grinça affreusement dans un cri de douleur qui me vrillait la tête. Lorsque la porte fut complétèment ouverte, mes yeux s'écarquillèrent, une envie de vomir me pliait brusquement en deux et mon cœur battait à toute vitesse. Je refermais prestement bien qu'en titubant un peu la porte et me laissais tomber au sol. J'avais vu le mannequin de ma soeur devant ma porte.
Je me mis à prendre de longues bouffées d'air pour me calmer et dit à voix haute :
"Ce n'est rien. Mon esprit ne fait que me jouer des tours et ne me montre que ce que je veux voir. Il n'y a rien. Absolument rien. Seulement le couloir, vide. La preuve, je vais ouvrir la porte et..."
Je vis par l'ouverture le mannequin et ne pus m'empêcher de pousser un hurlement et de claquer la porte.
Quelques minutes, plus tard, ma soeur entrait dans ma chambre et me demandait ce qu'il y avait, étonnée du fait que j'étais debout si tôt et que j'avais hurlé. Le lendemain, il ne se passa rien. Je n'arrivais toujours pas à dormir, mais le mannequin n'était pas revenu. Les jours suivants aussi. Petit à petit je réussi à me convaincre que je n'avais absolument rien vu et finis par retrouver le sommeil et bien dormir. Une semaine après l'accident, ma soeur me prévint qu'elle devait sortir voir des amis le soir et qu'elle allait devoir me laisser seul. J'étais plutôt content, car je pourrais finir de lire le dernier roman que j'avais acheté et peut-être aller sur l'ordinateur.
Quand elle fut partie, je m'installais dans mon lit et me mis à lire. J'ouvris les yeux en sursautant et me retrouvais allongé dans mon lit. J'avais du m'assoupir en lisant. J'avais entendu un grand bruit dans la cuisine, comme si de la vaisselle tombait par terre. Ma soeur n'était pas encore rentrée, sinon, elle m'aurait sûrement réveillé, donc ça ne pouvait pas être elle.
"Mais qu'est-ce qui se passe ?" Je ne pus m'empêcher de chuchoter.
Soudain, les souvenirs de ce qui était arrivé il y a une semaine ressurgirent. Le mannequin ! Mon cœur battait de plus en plus fort, comme s'il menaçait de sortir de ma poitrine et je me mis à transpirer brutalement. Malgré mon malaise soudain, je me levais et à la pointe de mes pieds qui tremblaient en soutenant mes jambes flageolantes, je me rendais dans la chambre de ma soeur et cherchais le mannequin de bois lui appartenant. Il n'était plus dans la pièce. Je courais dans les escaliers et me dirigeais vers la cuisine, supposant que c'était ici d'où venaient les bruits de vaisselle cassée. L'ouverture de la porte était béante et montrait la scène de tout son large et je ne pus m'empêcher de tomber à genoux et de porter mes mains à mon visage en retenant un sanglot. J'en étais sûr, c'était ce mannequin ! Des débris d'assiettes étaient dispersés partout dans la pièce, surtout au bord de la table, comme si on avait mis une pile en équilibre et le mannequin se trouvait sur la table, entouré de vaisselle brisée. En rassemblant encore le faible courage qui me restait, je m'avançais vers le mannequin et tendais mon index tremblant avant d'appuyer sur son visage, ce qui fit tomber l'objet par terre et m'arrachais un hurlement de surprise. Ne se passant rien, je finis par l'attraper à pleines mains et le traîner par terre en courant le plus vite possible, désireux de lâcher cet objet démoniaque qui me terrifiait au plus haut point. Je le jetais de toutes mes forces dans la chambre de ma soeur et fermais la porte à double tour, avant de me jeter dans mon lit et de me cacher sous la couette en hoquetant, pâle comme la mort.
Je ne dormais pas cette nuit, ni la nuit d'après et encore moins celle qui arrivait ensuite. Je m'étais fait gronder par ma grande-soeur pour les assiettes de la cuisine et je fus puni de sortie. C'était bien cela le pire. L'obligation de devoir rester dans cette maison où habitait ce mannequin qui me voulait du mal et ne pas pouvoir sortir pour échapper à ce démon. À chaque fois que je traversais le couloir de ma chambre à celle de ma soeur, j'avais l'impression qu'il était derrière moi. Qu'il observait tous mes faits et gestes, pour attendre le bon moment pour frapper. Je finis par me rendre compte de cette évidence. Il était partout. Et ne me lâcherait pas jusqu'à ce que je m'en débarrasse. Je ne fermais pas l'œil cette nuit non plus.
Quelques temps plus tard, ma punition fut levée et ma première sortie avait pour seule raison un nouveau jeu qui était sorti et que j'attendais avec impatience. Ma soeur, qui ne possédait pas encore ses vacances, était au travail. Je fus donc obligé de partir à pied et quand je sortis par la porte du garage et pris ma première bouffée d'air frais, une sensation de bonheur m'envahit.
Une heure plus tard, j'étais de retour à la maison, mon jeu en main. Je pensais enfin à autre chose que ce mannequin et brûlais d'impatience à l'idée d'essayer ma nouvelle acquisition. Je glissais la clé dans la serrure de la porte d'entrée et ouvrir la porte. Cependant, je ne pus entrer. Elle était bloquée. Je soupirais et finis par rentrer par la porte du garage. Je remontais les marchés et allait me diriger vers le salon, quand je jetais un coup d'œil à la porte d'entrée et blêmis. Ce qui bloquait la porte d'entrée n'était rien d'autre que ce mannequin. Cette fois, je ne pus retenir mon haut-le-cœur et recrachais tout mon repas du midi sur le sol. Je me sentais défaillir, rongé par la peur et la surprise. Enfin, je finis par me ressaisir. Je nettoyais le sol, donnais un coup de pied de rage dans le mannequin et m'assis sur une chaise, le plus loin possible du démon qui bloquait la porte d'entrée. Il fallait que je m'en débarrasse. Cet objet ne pouvait plus rester ici, sinon j'allais devenir fou. N'étais-je pas déjà fou d'ailleurs ? Je pensais à voix haute :
"Je vais tout dire à ma soeur et nous nous débarrasserons de lui."
Le soir, dès que ma soeur rentrait, je la fais venir dans la cuisine et lui avoua :
"Tu sais, Il bouge.
-Qu'est-ce que tu racontes ? Dit-elle, interloquée.
-Le mannequin. Je l'ai vu devant ma chambre et la porte d'entrée et dans la cuisine. Pour les assiettes brisées, c'était Lui."
Elle se mit à éclater de rire et une fois son fou-rire terminé, essuyait les larmes qui perlaient à ses yeux et dit :
"T'es vraiment pas possible ! Qu'est-ce que tu racontes ? Ce n'est qu'un objet, voyons ! Tu délires vraiment, en ce moment ! D'ailleurs tu te comportes bizarrement en ce..."
Alors elle ne me croyait pas ? Mais pourtant, tout ceci était plausible ! Pourquoi ne me faisait-elle pas confiance ? Est-ce qu'elle me détestait ? Est-ce qu'elle était au courant de tout depuis le début ? Mais oui... C'était elle la fautive ! Elle qui me gâchait la vie ! Et après, elle se moquait de moi...
"Sale ******** !" J'hurlais de rage.
Je me précipitais hors de la pièce et empoignais le mannequin avant d'ouvrir la porte et de sortir en courant. Je pris mes jambes à mon cou en entendant ma soeur hurler :
"Qu'est-ce que tu fais ?!"
Je traînais l'objet démoniaque par terre. Je m'arrêtais devant la route qui me menait au collège. Les voitures passaient plutôt vite dessus et au lointain le bus qui n'allait pas tarder à arriver à mon niveau. C'était parfait. Le véhicule était enfin à quelques mètres de moi et brusquement je jetais le mannequin sous les roues de celui-ci.
C'était fini.
Je rentrais ensuite rapidement à la maison. Ma soeur était folle de rage. À tel point que j'étais puni et devais rester enfermé dans ma chambre jusqu'au lendemain. Ce n'était pas grave. Car tout était enfin terminé. Le Mannequin ne reviendrait pas. Et je serais tranquille jusqu'à la fin de mes jours, même si je n'oublierais jamais. Je me mis à monter les marchés des escaliers pour aller dans ma chambre. Je ne me souvenais même plus à quoi elle ressemblait, tellement j'avais été obnubilé par le démon. Avec un grand sourire aux lèvres, je poussais la porte. Je blêmis et le malaise que j'avais éprouvé ces derniers temps revint. Sur les murs de ma chambre, à l'encre rouge, était écrit une multitude de "Il bouge".
Je remarquais aussi, au-dessus de mon lit, une écriture minuscule, en noir. Je m'approchais en tremblant et lis ce qu'il y avait écrit.
"Cela ne sera jamais fini."