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Message par Rowenaluna » 13 Déc 2015 17:25

Image
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Avant-propos
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Bienvenue dans le monde d'Aidan, Arduina, Tarran et Thennar ! Un monde où le pouvoir n'est qu'illusoire, et où les ennemis abondent. Un monde empreint de magie, déchiré entre luttes d'influence et intrigues de l'ombre.

<!> Cette histoire peut prendre un ton assez mature, avec des bagarres, des allusions osées, des gros mots et autres choses de ce genre. De plus, l'intrigue est par moments expliquée par des sous-entendus (impossible de le faire de manière explicite ^^'), il se peut alors que vous ne compreniez pas tout. Je pense que 12 ans est un âge limite raisonnable pour appréhender (plus ou moins) pleinement l'histoire. <!>

Cette histoire est tirée d'un RPG : Epique ○ Privé. Il s'agit d'un préquel éclaircissant des événements du passé, et suivant plus particulièrement les destinées d'Arduina, d'Aidan, de Tarran et de Thennar.
L'histoire a été travaillée conjointement avec Tarran McKol, qui m'a confié sa vision des choses.

Cependant, il m'est arrivé de prendre quelques libertés.
Ce récit peut être considéré comme semi-canon par rapport au RPG : certains éléments mentionnés dans ce dernier étant trop complexes ou invraisemblables pour quelle raison ai-je bien pu doter Aidan d'un frère jumeau ?? *tousse*, j'ai renoncé à les intégrer dans mon récit.

Pour lire cette histoire, une connaissance préalable du RPG support n'est pas nécessaire. Les personnages sont « neufs », en quelque sorte. N'ayez crainte, tout ce qui est à savoir sera expliqué dans le texte ^^
Vous pouvez bien évidemment lire le RPG, mais c'est à vos risques et périls : spoilers de cette histoire, qualité inégale (par exemple, il m'est arrivé très souvent de mentionner des informations pour ensuite les abandonner ou les oublier... et j'avoue avoir parfois un peu honte en relisant mes bêtises :mrgreen:), difficulté à comprendre certains messages quand on n'a pas le contexte, flood... cependant, si vous y tenez vraiment, n'hésitez pas à vous y plonger ♥
Si vous le faites, j'espère que vous prendrez autant de plaisir à lire que nous en avons eu à écrire !

À propos de cette histoire : j'ai pris un peu d'avance en écrivant plusieurs pages, mais je ne peux malheureusement pas garantir des publications régulières. Cela dépendra essentiellement de mon emploi du temps, de mon inspiration... du moins, j'essaierai de me tenir à un certain rythme, et de ne pas abandonner.

Les avis sont bien sûr bienvenus, tant qu'ils sont un peu argumentés (à vrai dire, ça me ferait vraiment plaisir de lire vos retours :3).

Je vous laisse découvrir cet univers de fantasy.

Bonne lecture,
Rowena


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Informations diverses
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Note sur la chronologie
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Tous les chapitres de chaque PdV (point de vue) ne se passent pas forcément dans le même laps de temps. Certains peuvent durer quelques minutes, d'autres quelques heures, parfois même quelques jours. De plus, ils ne se chevauchent pas forcément, et peuvent se dérouler à quelques semaines, voire mois ou années, d'intervalle.
Faites attention quand vous lisez, notamment pour ce qui est du traitement des informations et évènements.
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Rowenaluna
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Message par Rowenaluna » 13 Déc 2015 17:26

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Partie I
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Chapitre 1 - Arduina

Spoiler: show
L'échoppe était encore plongée dans la pénombre quand une petite silhouette, écartant d'une main potelée le rideau reliant l'arrière-boutique à la grande salle, se faufila derrière le comptoir en bois. Elle s'arrêta une seconde afin de humer l'air ambiant – une délicate fragrance mêlée d'épices et d'herbes, un peu poussiéreuse, aux accents délicieusement familiers.
Sur le rebord d'une fenêtre, une bougie parfumée se consumait lentement. La flamme dansait devant les yeux de l'enfant, ondulante, hypnotique, dans un tourbillon de chaleur et de lumière. Mais l'éclat d'une chandelle ne pouvait égaler celui du Soleil, et la gamine passa son chemin. Elle s'avança à pas de velours, ses pieds nus frissonnant au contact du sol froid, puis s'arrêta devant une échelle, à l'autre bout de la pièce. Les barreaux étaient lisses et frais contre sa peau, mais pas une fois elle ne dérapa. Elle fit culbuter une trappe, se glissa dans les combles. Ici, armoires et étagères se disputaient l'espace – sous le toit plat, mille ingrédients étaient suspendus par des crochets de métal. Essentiellement des plantes aromatiques et médicinales, bien que la maîtresse des lieux y conservât également des potions et mixtures en tous genres. Elle dissimulait les constituants plus rares ou plus dangereux dans un placard fermé à clé, auquel on accédait par une volée de marches s'enfonçant sous le sol.
Comme toujours, un confortable coussin l'attendait à son endroit favori. L'enfant s'y installa, après avoir refermé derrière elle les rideaux de soie d'un coup sec. Elle fit basculer le vantail de verre coloré, cerclé de bois sombre, laissant ainsi rentrer une petite brise sèche dans la pièce. Juste à temps ! Le ciel s'éclaircissait déjà. Elle regarda les étoiles disparaître dans un flamboiement rouge. Le temps n'existait plus, quand elle s'asseyait pour contempler l'avènement du jour.
Nulle aube, ailleurs, n'avait la saveur des aubes d'ici. Et bien qu'en ces contrées, le soleil fût traître, il n'en demeurait pas moins d'une splendeur incomparable.
La fillette avait voyagé, quelques fois. Il s'agissait alors des royaumes du nord, pâles et froids, où l'on se revêtait de fourrure et où régnait sur les cieux un astre morne. Dans ces pays, tout semblait si fade ! Pas de savoirs audacieux, de saveurs ardentes, de villes vivantes – et pas davantage de l'amabilité chaleureuse des gens d'ici.
Mais le temps de penser, et le jour était déjà levé. Kaylee l'attendait sans doute en bas. À cette pensée, la petite se redressa prestement et referma la fenêtre, tout sourire, avant de dévaler l'échelle à toute vitesse.

Elle avait vu juste : Kaylee se trouvait derrière le comptoir, rangeant sur les étagères des pots soigneusement étiquetés. Elle releva la tête en entendant des bruits de pas, dévoilant des prunelles dorées, qui n'étaient pas sans rappeler le scintillement du feu. En parlant de feu... la chandelle, sur le rebord, s'était éteinte.
— Bien dormi, Arduina ?
— Bien dormi, confirma la fillette. Les étoiles étaient rouges, ce matin.
— Tu as de la chance de les avoir vues. Ce phénomène n'arrive que quelques fois dans l'année.
La femme sourit. Elle souriait souvent, et des petites ridules se creusaient alors au coin de ses yeux pétillants, lui donnant un aspect plus doux.
Elle se dirigea vers sa jeune protégée, contournant avec grâce le meuble de bois. Après avoir récupéré au passage une écuelle, elle s'agenouilla à son niveau afin de la lui confier.
— Voilà pour toi.
Ce jour-là, l'habituel gruau de millet était additionné de miel et de raisins. Un événement qui arrivait parfois, et qui la réjouit : la journée commençait bien. Tandis qu'elle savourait son petit-déjeuner, la porte s'ouvrit tapageusement.
— Bien le bonjour, Kaylee ! Oh, et à toi aussi, Arduina.
Toujours aussi empressé, Agon venait récupérer ses élixirs quotidiens. Sans même attendre que Kaylee le lui demande, Arduina se saisit d'un panier et le déposa sur le comptoir, avant de retourner à son gruau.
— Une bouteille d'hypocras, du gingembre, du thé, …, et du pavot. Le compte est bon. Une pièce d'argent, c'est bien cela ?
— Oui.
La transaction terminée, Agon se saisit d'une minuscule fiole remplie d'un liquide laiteux. Du pavot, reconnut la fillette. Il la contempla quelques secondes avant de la ranger, et couvrit soigneusement son panier d'un carré de lin blanc.
— Au fait, comment va Leyana ? lança Kaylee alors qu'il s'apprêtait à partir.
L'homme passa une main calleuse dans ses cheveux sombres, achevant de les ébouriffer. Se détournant légèrement de la porte, il poussa un soupir.
— Sa grossesse la fatigue beaucoup. Tu sais qu'elle a toujours été d'une santé fragile, et... d'après Sylène, il n'est pas certain qu'elle survive à l'accouchement.
— Tout se passera bien, ne t'inquiète pas – la druidesse arborait une moue compatissante.
— Je l'espère. Mais... (Agon prit tout à coup une mine pleine d'espoir.) Toi... Tu pourrais la soigner, si les choses tournaient mal, non ? Tu connais le pouvoir des plantes. Et tu as certaines affinités avec le Don, dit-on. Tu pourrais la sauver de la mort, si cela devait advenir.
— Moi ? La sauver de la mort ?
La voix de Kaylee n'était plus qu'un murmure. Une ombre passa dans ses yeux, trop vive pour que l'homme puisse la percevoir, mais Arduina était attentive, et elle la vit.
— Non, je n'ai pas pu la sauver... chuchota-t-elle d'une voix basse, comme pour elle-même.
Son regard allait et venait entre l'homme et l'enfant, ne cessant de revenir à cette dernière. La femme secoua la tête, rompant le charme.
— Non. Ne pensons pas à ça... Tout se passera bien, Agon, ne t'inquiète pas. Et maintenant, cours auprès de ta femme, elle doit réclamer ta présence.

Sitôt la porte refermée dans un doux carillon, l'enfant se leva.
— Quelque chose ne va pas ?
Évitant soigneusement son franc regard bleu, Kaylee se contenta de sourire. Tout à coup, elle avait l'air plus lasse, comme si un poids pesait sur ses épaules.
— Non, rien. Je m'inquiète simplement pour Agon et Leyana. As-tu terminé ton petit-déjeuner ?
— Oui.
— Prends ceci, alors, et cela aussi. Voilà pour le boulanger. Le pot brun est pour la veuve. Elias me réclame ces herbes depuis plusieurs mois. Tu connais le chemin, n'est-ce pas ? Oh, et n'oublie pas : sois prudente.
— Oui-da, je sais.
— Parfait.
Arduina chargea sa besace, la toile épaisse rugueuse contre sa peau. Elle aimait cela, aussi : effectuer sa petite tournée matinale et voir fleurir les sourires sur la face des gens. Malgré les grandes rues larges du quartier, elle devrait faire plusieurs détours pour contenter tout le monde. Mais peu importait. Sans doute pourrait-elle récolter un peu de monnaie par-ci, un gâteau par-là. Comme d'habitude.
Elle se dirigea vers la porte d'un air assuré, après avoir attrapé son voile couleur crème et l'avoir fixé sur sa tête. Le soleil était rude, par ici, et cela dès la matinée. Elle poussa de sa petite main la porte en bois, faisant entrer chaleur sèche et lumière aveuglante dans l'échoppe.
— À tout à l'heure, Kaylee.
— À tout à l'heure, ma douce.
Elle sembla quelques secondes en proie à une intense réflexion ; et quand elle releva la tête, elle adressa à sa protégée un regard étrange.
— Oh, et puis... quand tu reviendras... nous aurons à discuter. C'est important.


Chapitre 2 - Thennar

Spoiler: show
Comme embrasé par le souffle d'un dragon, le ciel se teintait de rouge et de jaune. Le soleil, étincelante boule de feu descendant sur l'horizon, peignait d'or les tours du château de pierre ; et ses rayons ardents s'entremêlaient avec les eaux tumultueuses de la rivière en une tapisserie de lumière.
Perché sur le chemin de garde, le jeune prince guettait.
Il leva les yeux vers les tours, qui le dominaient de toute leur arrogante majesté. Là-haut, quelque part tout là-haut, se trouvait sa jeune sœur, avec pour seule compagnie des oiseaux et des gargouilles. Tarran avait l'habitude de se jucher sur quelque corniche et, de là, abaisser sa vision sur l'horizon, savourant la sensation d'être reine du monde entier, du haut de ses six ans.
— C'est vraiment incroyable, Thennar ! s'était-elle un jour exclamée, les yeux pétillants. Tu ne peux pas savoir, c'est si… si…
— … dangereux, l'avait interrompue Lanna. Mère dit que tu pourrais tomber et mourir.
Lanna, elle, avait toujours été raisonnable.
Aussi douce et docile que sa sœur était fougueuse et indomptable. Elles n'avaient pourtant, quoi ? que quelques minutes d'écart – et cependant de nuit et de jour, de glace et de feu. On avait coutume de dire que Lanna tenait davantage de sa mère, quand Tarran passait pour digne fille de son père. Et moi, je ne suis qu'un bâtard.

Il n'avait pas pour habitude de se laisser entraîner par Tarran dans ces bêtises aériennes, à voltiger d'un pied sur l'autre avec au-dessus le ciel, au-dessous le vide, et entre les deux le vent qui tentait de le jeter plusieurs mètres en contrebas. Mais aujourd'hui était un jour spécial – et il avait juré de guetter.
Une clameur lui fit baisser les yeux. Environnée d'un nuage de poussière, une troupe s'approchait ; une meute de limiers hurlants précédait une escorte de chevaliers, revêtus d'étincelantes armures et arborant d'éclatantes couleurs. Ors brillants, éclats métalliques, et mille nuances, mille tons, reproduisant toutes les teintes possibles ou imaginables... Il reconnut ici le bronze et azur du vieux lord Jon, là le mauve et argent de lord Daeren, ou encore l'indigo profond des McAvallon ; et, au centre – son cœur bondit – le noir et rouge de Père. Le jeune garçon crut distinguer, derrière la royale silhouette de son père, une grande forme blanche mouchetée de rouge, avec sur la tête ce qui ressemblait à une majestueuse ramure. Père avait donc vaincu ! Il s'était incliné, le majestueux cerf blanc, face à la puissance du dragon – et cela, Thennar n'en avait jamais douté, même si son cœur lui sembla tout à coup plus léger. Il en avait entendu conter, des histoires de terribles accidents de chasse, de plastrons défoncés par un quelconque sanglier, d'imprudents cavaliers piétinés, de chiens à l'agonie, mais Père était d'une tout autre espèce, et jamais il ne se laisserait prendre au piège par un animal de cette extrace, si légendaire et vénéré soit-il. Le dragon ne se laissait jamais vaincre.

Le garçon agrippa un merlon, se déplaçant prudemment de côté. Un regard vers le bas, furtif, imprudent. Un pas de travers, et la chute serait fatale ; Lanna avait raison. Lanna avait toujours raison. Cela avait le don d'horripiler Tarran.
Son pied tâtonna quelques secondes, avant qu'il ne trouve une saillie. Il y cala sa botte, remonta son genou, tira sur ses bras, les doigts crispés sur la pierre rugueuse. Encore un effort – et il se hissa, jetant sa jambe par-dessus le rebord, se laissant entraîner, puis se releva après avoir roulé sur lui-même. Il avisa rapidement une trappe, dont il fit basculer la grille. Il s'y glissa, se réceptionnant avec sa souplesse d'enfant. Quelques marches en colimaçon, qu'il dévala à toute vitesse, et il se retrouva dans une grande salle carrée, un peu poussiéreuse, avec deux statues de lion jetant sur lui un regard mauvais. Sans y prêter vraiment attention, il s'arrêta afin d'épousseter rapidement ses vêtements : une tunique de coton noire, frappée du dragon rouge des McKol, passée par-dessus des chausses de même couleur et maintenue à la taille par un ceinturon de cuir. Il enfila rapidement son manteau de laine, qu'il avait laissé gisant en boule sur le sol. Le contact du tissu, chaud et doux, le fit sourire de satisfaction.
— Prince Thennar ? Ah, vous voilà donc !
La porte pivota sur ses gonds, sans bruit, dévoilant une Aniella visiblement soulagée.
Fille cadette d'un petit noble, elle était arrivée au château voilà déjà quelques mois. Ses grands yeux bruns et son sourire innocent avaient rapidement convaincu Carmela, la gouvernante de Tarran, et lui avaient assuré une place auprès de la jeune princesse. Un travail qui n'était pas de tout repos... même si sa jeune protégée semblait lui porter une certaine affection, chose inhabituelle chez elle.
— Messire votre père vient de rentrer. Il vous attend en bas. Mais... par hasard... auriez-vous vu votre sœur ? Je la cherche depuis des heures.
— Elle doit être quelque part dans l'aile Est du château.

Le temps de descendre, et la troupe s'était rassemblée dans la cour du château. Père, juché sur son grand étalon noir, un bandeau d'or serti de rubis ceignant son front haut, dardait sur ses compagnons un regard royal.
Thennar s'approcha de quelques pas. Un homme doté d'un heaume en forme de mufle de lion, encore vigoureux malgré sa chevelure blanchie par l'âge, causait jovialement avec Père.
— Cet animal est entouré de moult contes et légendes. En avez-vous déjà entendu parler, sire ?
— Tantôt. On dit de ce cerf blanc qu'il serait seigneur de la forêt. Il régnerait sur le Bois-Royal, hôte et protecteur de tous ceux y vivant, du moindre loup à la plus minuscule souris.
— Alors prenez garde, Votre Majesté, à ce que ses sujets ne vous tiennent rigueur de sa disparition, intervint un jeune elfe aux boucles d'argent et à l'air malicieux, revêtu de mauve. Des andouillers sont bien plus redoutables qu'ils n'y paraissent au premier abord.
Cette audacieuse pique entraîna quelques rires. Père attendit qu'ils se soient éteints pour répliquer.
— Le dragon ne saurait s'incliner face au cerf, lord Daeren.
Il arborait un de ces sourires froids, qui, s'ils creusaient dans ses joues de petites fossettes et modifiaient son auguste figure, laissaient ses yeux vert émeraude de pierre. Un air qui avait toujours intimidé son fils, quand bien même il ne lui était pas adressé. Comment pouvait-on soutenir pareil regard, lourd de signification, quand il se posait sur vous ?
— Non, bien évidemment, Votre Majesté, s'empressa de répondre le jeune présomptueux, ayant la décence de baisser la tête d'un air contrit. Tel n'était pas mon propos.
Sans lui accorder davantage d'égards, le roi se détourna de lui.
Et soudain, il s'arrêta ; puis, en une unique seconde, sa physionomie se transforma – comme un rayon de soleil qui l'illuminerait tout à coup. Sa nuque se détendit, ses prunelles étincelèrent ; et sa lippe de s'animer d'un véritable, d'un chaleureux rire. Qui avait donc bien pu provoquer pareil changement d'humeur ? Thennar tourna la tête, suivant son regard.
Mirranda accourait gracieusement, tout en boucles blondes soigneusement coiffées et pans de précieuse soie verte, assortie à ses grands yeux doux. En guise de bijoux, elle n'arborait qu'un simple diadème d'argent. Malgré ces modestes parures, sa beauté n'en ressortait que davantage ; car la mère de Tarran et Lanna était indéniablement belle, avec sa blondeur radieuse et sa peau satinée, et tout le monde ne cessait de le répéter – Père n'y faisait pas exception. Bien qu'elle passât tout près de lui, elle n'accorda pas même l'ombre d'un regard au fils de son époux.
Père, démontant avec aisance malgré son encombrant équipement, s'agenouilla devant elle afin de lui baiser les doigts. Il lui dit quelque chose, que Thennar n'entendit pas : un cri de bonheur venait de retentir derrière lui. Tarran courut se jeter dans les bras de son père, suivie par une Lanna bien plus calme, mais tout aussi enthousiaste.
— Thennar, approche donc !
Père l'avait repéré, et lui souriait, l'invitant à se réfugier dans son étreinte rassurante. Sans se faire prier davantage, le jeune garçon se précipita vers lui, tout à sa joie de le revoir. Il n'y avait plus d'inquiétudes, plus de Mirranda, plus même d'honorables seigneurs aux yeux braqués sur eux, seulement lui, ses sœurs et leur père. Père était revenu, sain et sauf.
— De si émouvantes retrouvailles, commenta lord Daeren, si près et pourtant si loin. Mais est-il bien raisonnable, sire, d'exposer ainsi votre bâtard aux yeux de tous ? C'est infliger une peine bien cruelle à lady Mirranda...
— Ne m'impliquez pas, McRaenyra. Un bâtard, certes. Mais plus honorable et clairvoyant que vous, à ce qu'il semblerait, en dépit de votre haute naissance.
La voix de Mirranda s'était faite venin, comme des éclats de glace dans du miel. Cependant, cela n'était pas, et de loin, le plus stupéfiant. Ai-je bien entendu ? se demanda Thennar, incrédule. Elle... elle vient de prendre ma défense.


Chapitre 3 - Aidan

Spoiler: show
— C'est ici, gamin, lâcha le vieux Arren de sa voix bourrue. Le château des McCalliscian !
En fait de château, « manoir » semblait un terme mieux choisi pour décrire cette grande bâtisse de bois clair, à la silhouette trapue et aux toits d'ardoise sombre. Bien que pourvu d'une cour de terre battue, avec de bas murs de pierre tout autour, elle renvoyait une impression singulièrement modeste pour la demeure d'un grand seigneur.
— Enfin, le château d'été des McCalliscian, rectifia rapidement Arren. Comme s'il lisait dans les pensées du petiot, il rajouta : Tu devrais voir leur Donjon d'hiver. Ha ! c'est tout autre chose, ça !
Mais aussi sobre put être cette maison, elle n'en demeurait pas moins bien plus qu'Aidan n'avait jamais vu. Tandis qu'il promenait un regard impressionné, le garçonnet sentait une appréhension sourde monter en lui. C'était une sensation bizarre, un peu comme une boule dans sa gorge, et un poids sur son estomac, qui lui donnaient envie de s'enfuir à toutes jambes et de retrouver sa mère. Comment réagirait son père ? Il était un grand seigneur, après tout, et rien ne l'obligeait à croire une simple petite paysanne sur parole.
— Et bien alors, petit, quelque chose qui ne va pas ?
— Non... non rien, murmura Aidan d'une voix basse.
— T'as bien raison de douter, repartit aussitôt l'autre, faisant la sourde oreille. C'était une folie, ça ! Je lui ai dit, pourtant, à la Sierra, que jamais le lord il accepterait de reconnaître son bâtard. La faute à sa lady Aleya, ça. Et pis bon, ça se comprend. Qui voudrait avoir tout le temps sous ses yeux les résidus d'un coc...
— Oh, mais boucle-la un peu, intervint Perk – un jeune homme constellé de taches de son qui revenait tout juste de cinq ans d'apprentissage auprès d'un apothicaire. Tu vois pas que t'es en train de faire peur au gamin ? Ils ont les mêmes yeux tous les deux, McCalliscian sera obligé de le remarquer.
Arren ouvrit la bouche, prêt à protester. Un regard sévère de Perk suffit à l'en dissuader, et – chose suffisamment rare pour être soulignée – il se tut, se contentant de lancer un baluchon au garçonnet. Aidan le rattrapa maladroitement, titubant sous le poids du paquetage. Il écarta un bout de tissu afin d'en lorgner le contenu.
— Ça, c'est pour toi, gamin. Bonne chance !
Le garçonnet, demeurant muet, le regarda charger à nouveau sa charrette puis s'éloigner.
— Je vais t'accompagner, se proposa Perk.
Et tandis qu'ils marchaient côte à côte, le jeune homme causait pour eux deux.
— McCalliscian te trouvera une place, pour sûr. Et quand bien même... Lady Aleya insistera sûrement s'il avait la méchante idée de te renvoyer. Il y a toujours une place dans les cuisines ou les écuries.
Il jeta un rapide coup d’œil au visage de son jeune compagnon, qui lui retourna un regard placide.
Malgré ses dehors impassibles, Aidan se sentait bouillonner intérieurement. Quand bien même il l'aurait voulu, aucun mot ne parvenait à franchir ses lèvres ; quelque chose semblait lui ravager les entrailles. Et si son père le renvoyait chez lui ? Et s'il se retrouvait seul, sans attaches, sans toit ? … tant et tant d'interrogations, qu'il ne pouvait repousser en dépit de toute sa bonne volonté.
Bien qu'il soit – oui, vraiment – très content d'être accompagné, l'optimiste angoisse de Perk tendait à l'agacer plus que de raison. C'est moi qui devrais me lamenter dessus, pas lui. Il n'avait pas besoin de se faire continuellement remémorer l'épreuve à venir : ses pensées se concentraient très bien là-dessus sans aide aucune, merci bien.
Mais ne voulant pas se mettre son compère à dos, il se contenta d'acquiescer vaguement, et ses doigts se resserrèrent convulsivement sur son bagage.
Tous deux contournèrent la grille de fer pour longer le muret.
— Qu'est-ce qu'y a là ? lança une voix traînante au niveau de la poterne.
— Ce qui revient de droit au seigneur.
La réponse de Perk n'allait pas sans une pointe d'ironie – qu'Aidan perçut très bien, avec ce drôle de regard dont on l'affubla.
— Ah, oui, les impôts. Au passage, si tu veux te délester d'un ou deux boisseaux de blé, Taches-de-son, n'hésite pas. Puis, McCalliscian s'en rendra même pas compte... Allez, tu voudrais pas aider un pauvre garde mal nourri ?
Le jeune homme repoussa sans ménagements la bourse de toile que le garde lui tendait.
— Tu demanderas à ton maître.
— Si on peut même plus rigoler...
Il les laissa passer sans plus de commentaires, après avoir déplacé la porte avec force grognements et jurons. « Foutue porte... » fut tout ce que le garçonnet saisit.

Ils débouchèrent dans une pièce étroite, où deux gardes jouaient aux cartes. La porte ouvrait sur la cour, pas si petite qu'on ne pouvait le penser de l'extérieur, qui retentissait de cris d'enfant et de tintement métalliques. Une fillette à la tresse blonde ferraillait contre un adolescent la dominant d'une bonne tête, sous les quolibets et encouragements de plusieurs autres gamins. À un moment, la fillette tenta une botte audacieuse ; mais l'autre grand gaillard, visiblement plus expérimenté, la désarma d'un nonchalant moulinet du poignet.
— Dites, les mioches, où est lord McCalliscian ?
Après s'être relevée, la blondinette s'épousseta sommairement et se planta devant eux, l'air effronté, les mains sur les hanches.
— Vous cherchez mon père ? Il est dans son bureau. Il compte… je ne sais pas vraiment, en fait. Il compte, voilà tout.
— Oh, c'est ton… votre père ? Tu… vous devez être lady Lynce… veuillez… excusez-moi…
Et Perk, tout embarrassé, de partir dans une courbette maladroite, sans que Lynce McCalliscian n'en paraisse le moins du monde émue.
— Oui, oui, bien sûr. Encore des donations et des doléances, c'est ça ?
— On peut dire ça comme ça… madame.
— D'où venez-vous ?
— De Bourg-Blanc, madame. Près du Mont-Dragon.
À ce nom, lady Lynce parut ébranlée. Elle prit un air soupçonneux.
— Vous devriez faire attention à ce que vous dites, alors. J'ignore pourquoi, mais mon père semble toujours inquiet quand on mentionne ce nom. (Elle fit une pause.) Vous ne vous ressemblez pas du tout… toi, tu viens travailler ici, non ?
Aidan ne put que hocher la tête, intimidé par l'aplomb de Lynce. Elle le dévisageait curieusement, avec ces yeux étonnants. Gris, comme les siens...
Il se dépêcha de détourner le regard. Étrange sensation que de savoir sa demi-sœur juste en face de lui, et ignorant jusqu'à leur lien de parenté…
— Aidan, allons-y. Merci, lady Lynce, et excusez-nous pour…
— Oui-da. Allez, allez, le seigneur mon père n'attendra pas éternellement.
Et elle repartait déjà, bondissant avec agilité, et se saisissant de sa lame d'entraînement avec entrain.
— Je veux ma revanche, Erryk. En garde !

— Ta demi-sœur, non ? chuchota l'apprenti apothicaire une fois qu'ils se furent un peu éloignés.
— Je crois que oui.
— Vous avez les mêmes yeux.
Aidan avait passé bien du temps à observer son reflet dans l'eau, quand il habitait avec sa mère. Ses iris étaient gris, gris, gris, quand Sierra les avait noisette, et tous ses demi-frères comme leur mère.
Cette Lynce et lui, c'était différent. Ils avaient des prunelles identiques, tous les deux : gris métallique, indéniablement gris, sans la moindre minuscule nuance de bleu ou de noisette… Il a raison. Mon père sera forcé de me reconnaître.
S'il n'avait été atteint de pareille peur, sans doute aurait-il eu loisir d'admirer les superbes meubles de bois de rose, et la quantité impressionnante de bibelots exotiques – sans doute rapportés de plusieurs voyages. Ils errèrent dans les corridors durant de longues minutes, avant d'enfin rencontrer une servante, qui leur indiqua le chemin.
— C'est ici, décida son compagnon en désignant une porte.
Il toqua doucement. Toc toc. Toc toc. Avec un peu d'imagination, on pouvait entendre dans ces coups des palpitations sourdes.
Le cœur d'Aidan battait à tout rompre, semblant vouloir sortit à tout prix de sa poitrine, comme un oiseau en cage.
— Je ne me sens pas très bien... murmura-t-il en agrippant le bras du jeune homme.
— Ça va aller, ça va aller.
Un visage sévère apparut par la porte entrebâillée. Une mâchoire carrée, un long nez droit, un front qui se dégarnissait, entouré d'une couronne blonde. Une peau claire, sillonnée de pattes d'oie. Et des yeux gris. Gris comme l'acier, gris comme ceux de Lynce, gris comme ceux d'Aidan.
— Qui êtes-vous ?
— Perk, fils de Jehan, messire. Et Aidan, fils de... fils de Sierra. Nous venons de Blanc-Bourg vous apporter... ce qui vous revient, messire.
— Blanc-Bourg...
Un bref instant, on put lire de l'effroi dans l’œil du seigneur ; et son regard vola de Perk à Aidan, d'Aidan à Perk, revenant encore et toujours au jeune garçon.
— Va trouver mon intendant, ordonna-t-il finalement au grand échalas. Donne-lui ce que tu me dois. Quant à toi, mon enfant... entre.
Perk hésita : il paraissait aussi perdu qu'Aidan. Va-t-il nous laisser seuls? se demanda le garçonnet. Il redoutait de se retrouver seul avec son père ; mais d'un autre côté, l'exaltation de l'avoir retrouvé tendait à engloutir tout le reste.
— Va, répéta lord McCalliscian.
Il avait posé une de ses grandes mains sur l'épaule de l'enfant, et ses doigts étaient crispés sur la laine grossière de la tunique. Il y avait quelque chose de presque irréel, dans ce contact. Le garçon ne voulait pas y croire : se pourrait-il que… ?
— Et bien… Au revoir, Aidan, le salua Perk, l'air gêné.
— Au revoir, Perk.
Le jeune homme s'éloigna, non sans un dernier coup d'œil.
Enster McCalliscian soupira.
— Entre, mon garçon, nous avons à discuter.
Et Aidan s'aperçut avec surprise que son angoisse s'était envolée.


Chapitre 4 - Tarran

Spoiler: show
Modeste rempart contre les ténèbres épaisses de la crypte, la flamme de la torche menaçait d'être mouchée à chaque instant par le courant d'air froid s'insinuant entre les murs de pierre. Brandie à bout de bras par une main courageuse, elle éclairait d'une mouvante lueur jaune le visage des trois enfants.
— Est-ce le bon chemin ? chuchota une voix féminine, aussi suave que mélodieuse, taillée pour les contes et les chansons – celle de Lanna.
— C'est en tout cas celui que Père emprunte habituellement pour rendre visite à Séanoth, répondit Thennar de son timbre plus grave.
Tarran, qui ouvrait la marche, laissa sa sœur jumelle et son demi-frère palabrer, se contentant de lever un peu plus la torche afin d'illuminer une nouvelle portion du couloir. Ils marchaient depuis déjà une bonne dizaine de minutes dans les souterrains du château, serpentant en un réseau complexe sous la ville de Dorimath, belle capitale du puissant royaume de l'Ouest.
Large de peut-être cinq mètres, ce corridor-ci était bâti de pierre grossière, et le plafond épousait la forme d'une voûte. À intervalles réguliers, de grandes silhouettes sombres veillaient, tapies dans l'obscurité, silencieuses et vigilantes, ossements noirs et crocs menaçants : dragons. Squelettes figés, les impressionnants monstres s'étaient endormis pour l'éternité.
Et soudain, Lanna hoqueta, et bondit de côté, dans un grand bruit de déchirure. Sa manche de soie verte pendait misérablement en lambeaux déchiquetés, dévoilant en-dessous une protection de cuir bouilli. Heureusement qu'elle portait cette armure, sans quoi elle se serait retrouvée avec une estafilade rouge de sang, causée par une griffe de dragon encore aiguisée malgré les siècles passés.
— Ma robe... ! se lamenta-t-elle. Tarran, vraiment, je doute que cette aventure...
Encore ses sempiternelles pleurnicheries. Et toujours assorties de cet air terrifié... Mais même Thennar ne semblait pas vraiment rassuré.
— Père entrera dans une colère folle, si nous sommes surpris, renchérit-il. Il vaudrait mieux revenir en arrière.
Se tournant légèrement, sa sœur lui jeta un regard stupéfait, où perçait une once de déception. Ordinairement, il n'abondait presque jamais dans le sens de Lanna, lui qui se montrait si brave et intrépide. Pas autant qu'elle, d'accord, mais il s'en sortait tout à fait honorablement.
J'ai toujours été la plus courageuse de nous trois, constata une fois de plus Tarran, s'enorgueillissant de cet état de fait. Le sang des McKol coulait dans ses veines, ardent et rugissant ; elle était le dragon, et cela la rendait incomparablement forte... elle qui ressemblait davantage encore à Père que son frère et sa sœur.
Indéniablement, les enfants étaient issus de la même fratrie. Leurs cheveux rouges comme le feu, leurs yeux d'un vert intense, leurs traits : tout cela révélait avec une criante évidence leur affiliation à la famille royale. Il faudrait fort habilement nous grimer pour ne pas être reconnus, songeait parfois la fillette avec une pointe d’amusement. Elle avait essayé de se glisser hors de l'enceinte du château, une fois, déguisée en petite servante. Un garde l'avait démasquée avant même qu'elle ne pose le pied dans les jardins. Mère avait voulu l'enfermer dans sa chambre pour plusieurs journées interminables, mais Père en avait sévèrement dissuadé sa femme, et la petite gambadait librement quelques minutes plus tard. Elle s'en souvenait encore.
Lanna, elle, ne ferait jamais cela. Avec sa chevelure parcourue de fugitifs reflets d'or, son aimable caractère, elle ressemblait tant et plus à Mère. Mirranda avait beau être désormais une McKol, elle provenait toutefois du Sud, et le cygne ne pouvait égaler le dragon.
Quant à Thennar, il n'était qu'un demi-dragon. Ses oreilles pointues ne trahissaient que trop ses origines : sa mère était une elfe, assurément, bien que Père refusât obstinément d'en parler. Des gens savent de qui il s'agit. Elle avait surpris une conversation à ce sujet entre le vieux lord Jon et un banneret de Père – Lanna se souvenait sans doute de son nom, mais ce n'était pas son cas à elle. Ce dernier s'en était bien vite allé, et elle ne côtoyait que peu Jon McBedwyr. Elle avait interrogé Père au sujet de la mère du bâtard, un jour. Lui qui était habituellement si affectueux avec elle l'avait cette fois renvoyée fort sèchement. Aussi têtue fut-elle d'habitude, elle avait compris la leçon.

— C'est une folie, insista Lanna, chassant ses rêveries. Il pourrait t'arracher les membres d'un coup de patte et se repaître ensuite de tes entrailles.
L'emploi de ces termes amusa vaguement Tarran. Depuis quand sa tendre et frêle jumelle usait donc d'un pareil vocabulaire ? Elle lisait beaucoup, et de tels mots pouvaient se glisser sans problème dans un de ses volumineux livres d'Histoire, mais sortant de la bouche d'une fille aussi délicate qu'elle... cela ne pouvait qu'étonner fortement.
— Et le feudragon, rajouta Thennar – décidément, ils semblaient s'être alliés pour la convaincre. Un dragon n'est pas un chat ou même un lion. Il te ferait rôtir avant que tu n'aies pu esquisser un geste.
— Je ne crains pas le feu. Je suis du sang du dragon.
Les deux autres échangèrent un regard, soupirèrent, et décrétèrent que la cause était perdue. Levant les yeux au ciel, leur sœur retint un commentaire désobligeant.
— Il est toujours temps de faire demi-tour, si vous le voulez. Je ne vous en tiendrai pas rigueur. Mais moi, je continue.
Dotée d'une volonté de fer, Tarran n'avait pas pour coutume d'abandonner.
— Je suis le dragon, répéta-t-elle à voix basse, murmurant pour elle-même. Le dragon n'a peur de rien.
Puis, tout à coup, un cri euphorique lui échappa :
— C'est là !
Le couloir, désormais dépourvu de dépouilles de dragons, s'étrécissait de plus en plus. Une porte massive en barrait l'extrémité : du bois blanc, iridescent, aux attaches d'argent, gravé de runes anciennes, ignifugé par quelque magicien d'il y a trois cents ans. Après avoir déverrouillé la porte à l'aide de la clé dérobée dans le bureau de Père, Thennar s'arc-bouta contre le vantail, tirant et poussant tour à tour, ahanant comme un bœuf, jusqu'à ce qu'il bascule bruyamment.
Et un espace de liberté s'ouvrit devant eux. Ils se retrouvèrent dans une caverne aux dimensions fabuleuses, dont les parois irrégulières scintillaient de cristaux bleus. Ils la savaient creusée dans une falaise, dominant la mer de la hauteur du légendaire Zaaryel, monture d'Aileen la Grande. Dorimath se trouvait à un ou deux kilomètres – étonnante distance que pouvait couvrir le réseau souterrain.
Tarran sentit sur ses lèvres une brise salée, fraîche et humide. Loin devant se distinguait l'azur ardent du ciel.
Mais cela ne l'intéressait nullement.
Une silhouette gigantesque était vautrée au sol à quelques mètres d'eux. Noiraude et puissante, ramassée, majestueuse dans sa robe sombre aux touches de pourpre. Rouge le museau, rouge les ailes repliées, mais noir les flancs et noir le cou sinueux, comme noire la queue reptilienne. Noir et rouge, les couleurs de la noble maison McKol. Et le dragon, emblème de cette même famille depuis toujours, cousu sur toutes les bannières, des plus riches surcots au plus insignifiant mouchoir. Ici reposait Séanoth, le dragon de Père.
Thennar et Lanna, pétrifiés par la peur, demeurèrent près de la porte. Tarran leur confia la torche, puis s'avança, inquiétude et fascination mêlées. Elle était si près... Je le ferai. Je le toucherai. Il ne me fera aucun mal : après tout, je suis la fille de Riwall McKol, et future reine du royaume de l'Ouest.
Bien que n'en menant pas large, elle rassembla tout son courage et leva une main tremblante. Ne montre pas ta peur. Séanoth avait les paupières closes, mais elle savait qu'il guettait. Les dragons ressentent tout. Les dragons savent. Et toujours de se répéter : Je suis le sang du dragon. Plus brave qu'un tigre. Plus forte que tout. Je suis un dragon.
Sous ses doigts, le cuir épais prenait l'aspect et la texture de la pierre écailleuse ; à ceci près que cette pierre émettait une chaleur de vie, et qu'elle frémissait d'un scintillement tournoyant. Elle s'enhardit, posa son autre main, passa et repassa ses doigts sur la peau superbe, effleurant la courbe des écailles, sur les flancs agités d'un souffle profond ; et les muscles qui se tendaient, se détendaient, en un mouvement aussi inhumain que fascinant. Elle pouvait sentir, tout au fond de cet être immense et mystérieux, la mystique fournaise qui brûlait, brûlait, brûlait, le feudragon qui formait sa chair et son sang.
Quand soudain, un mouvement, inhabituel. Un sursaut, un tressaillement, infime mais suffisant pour l'alerter. Tarran releva lentement la tête, n'osant plus respirer.
Séanoth avait ouvert un large œil mordoré, la dévisageait calmement. Dans son regard sans âge se lisait une sagesse immémoriale ; et, pour la première fois de sa vie, la petite princesse se tut, et fut tout intimidée.


Chapitre 5 - Aidan

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Depuis quelques jours, tout n'était que défilé incessant de chevaliers, allant croissant de jour en jour.
Lorsqu'il n'était pas occupé à prendre soin des pensionnaires équins du château, Aidan s'asseyait sur un muret de pierre, dans la cour, et les regardait passer avec un intérêt marqué. Belles armures et belles montures, caracolant en brandissant de chatoyantes armes, chacun paraissait à ses yeux plus fier et noble encore que le précédent. Je serai des leurs, un jour, se plaisait-il à rêvasser. Le plus grand et le plus brave chevalier que le monde ait jamais connu ! Peut-être pourrait-il demander à Père de le faire écuyer ? Mais demeurait en suspens la question de savoir s'il l'oserait...
Les cavaliers restaient un jour, rarement deux, au manoir, puis s'en allaient vers l'ouest. Toujours l'ouest. Chaque départ était suivi de nouveaux ragots, se répandant dans les couloirs du manoir, de petite main à petite main ; le garçonnet n'y portait qu'un piètre intérêt, et ce d'autant plus que nul ne lui avait réellement consacré de temps jusque-là. Cela lui convenait. « Personne ne doit savoir, avait dit Père en le fixant de ses yeux gris et froids. Jamais. Ce secret, enfant, restera entre nous. » Il y avait pire situation, après tout. Tous le traitaient avec gentillesse, ici – et la compagnie des chevaux n'était pas si désagréable qu'on pouvait le croire.
En parlant de cheval... Lady Lynce – elle qu'on qualifiait de demi-centaure – traversa la cour en toute hâte, attifée comme un garçon. Elle revenait sans doute de sa chevauchée matinale ; elle avait l'habitude de parcourir, dès l'aube, bourgs et champs alentours avec son père. Lord Enster étant parti au Donjon d'Hiver depuis quelques jours, c'était à son fidèle intendant Eben que revenait la tâche d'inspecter le domaine des McCalliscian. Si Eben McEvrard n'avait ni la stature, ni l'autorité de Père, il n'en demeurait pas moins compétent, et tous ici le respectaient pour cela. Pour l'heure, sans doute avait-il rejoint son bureau, où il se claquemurait toute la journée pour gérer les comptes de la maison.
Machinalement, Aidan sauta à bas de son perchoir et se dirigea vers les écuries. À peine plus grandes que celles de la maison, avait-il constaté la première fois – avant de se souvenir que ce château était désormais sa maison, et qu'il valait mieux oublier tout ce qui pouvait bien avoir trait au passé. Bientôt trois mois – déjà ! le temps, décidément, filait plus vite qu'il ne le pensait.
Épine se reposait dans sa stalle, attendant sagement que l'on s'occupe d'elle. Rarement créature avait-elle si mal porté son nom : le garçon ne connaissait pas de pouliche plus tendre et docile que celle-ci. Tandis qu'il s'approchait, elle se contenta de le dévisager d'un air placide, tendant l'encolure pour le flairer de ses naseaux soyeux. Il aimait bien passer du temps à prendre soin d'elle ; cela lui donnait l'impression – illusoire, certainement, mais qui avait au moins le mérite d'exister – de se rapprocher de sa demi-sœur. Il s'installa sur une botte de paille afin de l'observer pendant qu'elle mangeait. Une vie simple et agréable, pour un être qui n'en demandait pas davantage.
— Au fond, peut-être qu'on se ressemble, toi et moi, fit-il pensivement.
— Depuis quand parles-tu aux canassons ?
Le garçonnet sursauta, se retourna. Leandras, nonchalamment appuyé sur sa fourche, lui retourna un regard rieur. Depuis ses débuts aux écuries, Aidan ne l'avait jamais vu dépourvu de son air espiègle, au point que c'en était devenu partie intégrante du personnage.
— Tu te figurais peut-être qu'elle te répondrait ?
— Je ne suis plus un bébé, s'agaça-t-il. Tout le monde sait bien que les animaux ne parlent que dans les contes et les chansons.
Il secoua la tête, les joues cramoisies, comme pour se remettre les idées en place – ou appuyer cette ridicule évidence. Ayant le sentiment que Leandras n'ouvrait la bouche que dans le but d'insister, il décida de le devancer.
— Tu m'observais depuis combien de temps ?
— Oh, pas bien longtemps, rassure-toi. Pour tout te dire, j'ai passé davantage de temps à te chercher qu'à t'espionner. Maryse a sans doute pensé que ce serait une bonne idée de me déléguer sa mission, à savoir te chercher et te ramener auprès d'Aria.
Il haussa les épaules.
— Il faut croire qu'écouter ce joli cœur d'Harrold la passionne bien plus. Mais peu importe ! Allez, ouste, va vite rejoindre Aria aux cuisines. Je dois encore retrouver Kel et Annabelle, ne traîne pas dans mes pattes.
Après une dernière caresse à Épine, le garçon déguerpit sans mot dire.

Il trouva Aria, non pas aux cuisines comme l'avait indiqué Leandras, mais dans la cour, s'affairant à charger des vivres sur un chariot sous les ordres de lady Aleya elle-même.
— Deux sacs de farine, égrena cette dernière. Un tonneau de vin de Mystra. Un baril de bière blonde. Une meule de fromage...
Elle s'interrompit en voyant le petit arriver. Emporté par un brusque mouvement, le bas de sa pelisse grise ondula dans son sillage.
— Approche, lui lança-t-elle avec un signe de la main impérieux. Aidan, c'est cela ? Aria m'a vanté ton talent avec les chevaux. Veux-tu bien t'occuper de nos chers vieux sommiers ?
— À vos ordres, ma dame.
Il esquissa une vague révérence avant de s'atteler à la tâche, se dépêchant de se détourner. S'il y avait bien une personne qu'il était incapable de dévisager, c'était bien la femme de son père ; maintenir constamment les yeux baissés en sa présence lui semblait une assez bonne manière de lui dissimuler leur couleur.
Il fila du côté de Pansu et de Ventru, rejoignant ainsi une jeune fille qui semblait à peine plus âgée que Lynce. Elle aussi arborait une crinière blonde lui arrivant aux épaules ; cependant, la ressemblance s'arrêtait là. Elle condescendit à peine un coup d’œil à Aidan. Comment pouvait-elle bien s'appeler, déjà ? Kira, je crois. Oui, c'était sans doute cela. Pas une compagne des plus bavardes, mais cela lui convenait.

Lorsqu'il eut fini, il aida Aria à finir de préparer le chariot, après s'être assuré que lady Aleya ne se trouvait pas dans les parages – il préférait l'éviter autant que possible. La servante, contrairement à Kira, ne se montra pas avare en bavardages. Aidan n'avait que faire de connaître les histoires de cœur d'Harrold et Maryse, et ne s'intéressait pas davantage au départ d'un certain Lufrelin pour le château d'un seigneur voisin, mais écouter la douce voix de la jeune fille n'était pas pour lui déplaire. À un moment, redressant la tête, elle héla Leandras qui passait par là avec deux autres jeunes gens.
— Frérot ! Tu ne voudrais pas venir nous aider ?
Il refusa tout d'abord, mais sa sœur le tira tant et si bien qu'il n'eut d'autre choix que de s'y mettre, non sans force râleries et taquineries. À eux quatre, ils eurent terminé avant la fin de la matinée. Ils mirent leur temps libre à profit pour épauler les autres, qui attelant les chevaux, qui entassant encore sacs et tonneaux et barils.
Il eut droit à une collation de pain et de fromage, suite à quoi l'ordre du départ fut donné. Malgré ses interrogations quant à la raison de tous ces préparatifs, Leandras persista à morigéner sa curiosité, Kel et Annabelle s'en furent, Aria secoua la tête d'un air amusé avant de s'installer dans un des chariots.

Il craignit un instant d'être laissé derrière. Tous ne partiraient pas ; le manoir n'était jamais totalement désert, et toujours demeuraient quelques serviteurs afin de le maintenir accueillant. C'était le cas de Kira, notamment, à ce qu'il avait compris.
Toutefois, Aria le hissa à côté d'elle, lui ménageant un espace confortable au milieu des céréales et des légumes secs.
— En route ! N'est-ce pas terriblement excitant ?
— Mais où va-t-on ? s'ébahit-il.
— Tu verras bien, répondit-elle avec un de ces sourires dont elle avait le secret.


Chapitre 6 - Tarran

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— Où va-t-on ? lança Tarran en portant sa monture à la hauteur de Thennar et Lanna.
Si son aîné se contenta d'un fin sourire, la cadette, elle, poussa un soupir faussement las.
— Si seulement tu avais pris la peine d'écouter Mère, tu le saurais. Au lieu de cela, tu préférais ferrailler dans la cour avec notre demi-frère, à te rouler dans la boue et récolter des bleus. Tu devrais te comporter comme ton rang l'exige, comme une véritable princesse. Thennar, tu pourrais au moins lui dire…
Un discours tant et tant de fois entendu au cours de ces derniers jours...
— Détrompe-toi, chère sœur. Je n'y suis pour rien si Tarran n'a pas jugé bon d'écouter maître Aurion lorsqu'il s'est mis en tête l'idée de nous expliquer le but du voyage.
Pas un pour rattraper l'autre, décidément. Était-ce réellement de sa faute si elle préférait les Prouesses de ser Arthur McAvallon, le Chevalier des Brumes à la voix soporifique de maître Aurion ?
— Mais tu la connais, ajouta cependant son frère, le sang de dragon coule plus fort dans ses veines que dans celles de n'importe qui d'autre.
Père l'avait dit, lui aussi. Il le disait à chaque fois que Mère lui rapportait une de ses bêtises. Ce sang de dragon qui devrait me protéger des vrais dragons. Encore un stupide conte, malheureusement. C'était uniquement grâce à son intervention que Séanoth ne l'avait pas dévorée, lui avait martelé Père, mais Séanoth était un vieux dragon imprévisible et elle n'aurait pas toujours cette chance. Il a l'air si docile avec lui, pourtant. C'était bien la première fois qu'elle voyait Père user du fouet afin de le dompter. La suite, lorsqu'il les avait tous les trois ramenés dans le château, en sécurité… Il paraissait si effrayant lorsqu'il plongeait dans une colère noire. Une colère draconienne. Thennar et Lanna avaient eux aussi écopé de sévères remontrances – au point que sa jumelle avait refusé de lui parler une semaine durant. Thennar n'avait pas fait tant de manières, lui, se montrant aussi chaleureux qu'avant ce regrettable incident. Père, lorsqu'il s'était calmé, lui avait bien présenté des excuses pour son emportement excessif, mais Tarran avait compris la leçon : elle ne referait pas cette bêtise deux fois.
— Encore plongée dans tes pensées, sœurette ? Tu sembles bien silencieuse.
— Voyez ! Nous arrivons, pépia Lanna de sa voix suave, dispensant Tarran d'une gênante réponse.
Les murailles d'un fortin apparaissaient à l'horizon, grises couronnées de blanc, décorées de longues bannières qui ondulaient au vent. Au fur et à mesure que le roi et sa suite s'approchaient, on pouvait distinguer un oiseau blanc déployant ses ailes sur la soie d'un bleu uni.
— Le phénix d'argent sur champ d'azur... McCalliscian, déclara Tarran d'un ton satisfait.
Elle qui avait passé des heures à étudier l'héraldique avec Père voyait enfin ses efforts récompensés. « Tout seigneur doit connaître ses vassaux, et quand tu seras lady McKol, la Dame de Dorimath, cette tâche te reviendra. » En tant qu'aînée des enfants légitimes de Riwall et Mirranda McKol, elle régnerait un jour sur tout le royaume de l'Ouest, perspective qui ne pouvait que la réjouir ; aussi s'efforçait-elle, tant que possible, de se montrer forte et hardie.

S'apercevant que Père les cherchait du regard, les trois enfants s'élancèrent vers lui. Tarran fut la première à ses côtés ; le vent de la course l'avait tout ébouriffée, mais Mère étant occupée à rire d'une fine plaisanterie lancée par un chevalier de sa suite, elle n'émit aucun commentaire désobligeant.
Thennar talonna sa sœur de peu, puis survint finalement Lanna. Père leur adressa un sourire avant de se tourner vers Daeren McRaenyra, qui chevauchait à son flanc droit.
— Ainsi donc, lord Daeren, vous voilà fiancé. Qui est l'heureuse élue ?
— La belle est Margaery de Melwasül, sire.
— Melwasül... ? (Le roi fronça les sourcils, perplexe.) Ne convoitiez-vous pas Eileen McAndiael, la fille de lord Andras ?
— Lord Andras s'est montré bon pour moi, et fut un temps où j'aspirais à sceller nos liens d'amitié en y ajoutant ceux du sang... mais aussi charmante que soit Eileen et grande mon affection pour son père, mon statut m'interdit une telle union. Je me vois donc réaliser aujourd'hui le souhait de mes propres parents, qui voulaient unir notre maison à celle des Melwasül. Ah, Hyara, ma chère sœur, vois dans quelles extrémités me plonge ta disparition... Lord Haël aurait été si heureux de t'avoir pour épouse...
Au nom de « Hyara », Père tressaillit. Pour ténu qu'il fût, ce mouvement fut perçu par les yeux attentifs de Tarran. La fillette se redressa sur sa selle, alerte, tendant l'oreille vers les deux hommes.
— Hyara... susurra Père d'une voix incertaine. Lady Hyara, reprit-il plus fort, était donc promise à Haël de Melwasül ?
Qui pouvait bien être cette Hyara... ? Comme si Lanna avait compris ses interrogations, elle lui souffla à l'oreille, les yeux brillants : « Lady Hyara McRaenyra, la Perle de l'Ouest. On se battait pour un seul de ses regards. Elle a disparu il y a dix ans. »
— Oui-da, sire. Les fiançailles étaient à peine conclues lorsque ma douce sœur a disparu. Aujourd'hui, c'est à mon tour d'épouser la fille Melwasül. Une fière beauté de quinze printemps, à ce que l'on m'a dit, qui hélas n'arrivera de son lointain royaume des elfes que dans quelques mois.
— Profitez bien de ces derniers mois, messire. Un avenant jouvenceau tel que vous ne manquera pas de regretter ses plaisantes occupations une fois marié.
— Je suis homme d'honneur, sire, et je ne me risquerai jamais à salir la réputation de ma dame, répliqua Daeren.
Le sourire de Père se figea ; son regard vola un instant à Thennar, ses prunelles émeraude tremblèrent, et il fixa soigneusement l'horizon.
— Voici venir lord Enster, cria quelqu'un.
En effet, une cohorte apparaissait au loin, sortant du donjon des McCalliscian. Au fur et à mesure qu'ils s'approchaient, on distinguait plusieurs silhouettes ; en tête, lord Enster, assez grand, de puissante carrure, monté sur un superbe palefroi gris pommelé. Le soleil ruisselait en reflets d'or sur l'épée de parade qu'il portait au côté. Derrière lui venaient deux silhouettes plus frêles, visiblement féminines, et derrière encore plusieurs chevaliers, les plumes colorées qui ornaient leur casque flottant au vent.
La suite du roi s'arrêta dans un même mouvement, attendant que celle de leur hôte les rejoigne. Tarran, qui une seconde avant trépignait encore d'impatience, s'interrompit, quelque peu impressionnée par la situation. Enfin, lord McCalliscian arriva auprès d'eux.
Engoncé dans un manteau de brocart d'or agrafé au col par une broche à figure de phénix, le seigneur des lieux s'inclina gravement devant Père. De près, il ne paraissait plus si impressionnant : s'il avait conservé une allure de guerrier, tout en puissance ramassée et regard scrutateur, les ans l'avaient visiblement épuisé.
— Sire, dit l'homme, c'est un honneur pour moi que de vous accueillir dans mon humble demeure. En tant que vassal et allié immémorial des McKol, soyez assuré de la fidélité de ma maison à la vôtre.
— Relevez-vous, lord Enster, dit chaleureusement Père.
— Lady Aleya, lança Mère un peu en retrait.
— Votre Majesté, répondit Aleya en inclinant la tête.
— Votre Majesté, répéta une jeune fille qui devait être à peine plus âgée que Thennar. Je suis honorée de vous rencontrer enfin.
— N'est-ce pas là lady Lynce ? La dernière fois que nous vous avons vue, vous n'étiez encore qu'un nourrisson. Quelle grande et belle jeune fille vous êtes devenue ! Mais où est donc votre frère, lord Jordan ?
— Le pauvre était souffrant, hélas, et il n'a pu se déplacer. Il assistera toutefois au banquet que nous donnerons ce soir en votre honneur.
« Un banquet... ! » répéta Lanna avec ravissement. Banquet était pour elle synonyme de chansons et d'amusements en tous genres. Tarran eut un léger rictus. Avec un peu de chance, ce ne sera pas ennuyeux à mourir. Thennar et elle trouveraient bien un moment pour s'échapper et explorer les environs. Vue sous cette angle, cette perspective semblait bien plus réjouissante.
— Mettons-nous en marche, lord Enster, si vous le voulez bien, lança Père.
Alors le cortège s'ébranla vers l'entrée du fortin.
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Rowenaluna
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Message par Rowenaluna » 13 Déc 2015 17:27

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Partie I - Suite
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Chapitre 7 - Arduina


Spoiler: show
Il n'y avait rien qu'Arduina aimât tant que les contes que lui lisait Kaylee, blotties l'une contre l'autre sous les combles, par les douces soirées telles qu'on n'en trouvait qu'à Lantosoa. La voix de la femme, suave et profonde, emplissait l'espace d'images fantastiques, invoquant tour à tour enchanteresses mystérieuses et créatures fabuleuses, princes ensorcelés et figures légendaires.
Ce soir-là, Kaylee avait choisi un de ses récits favoris : Le Prince-loup, légende ancestrale des lointains royaumes du Nord.
— Le jeune homme devenu loup hurla à la lune, et s'enfuit au plus profond des cavernes. C'est ainsi que naquirent les loups-garous, princes de la nuit et maîtres éternels des montagnes du Nord.
Pendue aux lèvres de sa protectrice, Arduina ouvrit de grands yeux ronds, demeurant bouche bée. Son imagination s'emballait, dépeignant sous ses yeux le prince-loup, maudit par son amulette brisée, qui s'élançait à travers les hauts plateaux du royaume de Gwaeldyr, le vent s'engouffrant dans son pelage d'encre, ses yeux d'or étincelant à la faveur de l'astre nocturne, sauvage et solitaire à jamais...
— Alors, les loups-garous existent pour de vrai ?
— C'est ce que l'on dit, mon cœur, répliqua la druidesse en souriant malicieusement.
— Est-ce que tu en as déjà vu à la cour de la reine Néréa ?
— Oh, non, je n'ai jamais eu cette chance. Certains ont longtemps eu des doutes sur messire Bera, l'ambassadeur gwaeldirien, mais je crois bien que le pauvre homme n'a rien à voir avec ces créatures-là malgré sa toison.
La magicienne était familière de la Cour, elle qui servait la famille royale de Lantosoa depuis de longues années. Elle se plaisait à rapporter à sa protégée des anecdotes sur la reine et son entourage haut en couleurs ; ainsi, Arduina n'ignorait-elle rien du prince Ellys, pupille – doux euphémisme pour un otage – de la reine, ou encore de dame Amaya, représentante du peuple des fées.
— Est-ce que tu m'y emmèneras ?
— Un jour, quand tu seras plus grande. Je suis certaine que la reine Néréa t'appréciera beaucoup. Une fois que tu auras maîtrisé l'art de la magie, et je ne doute pas que tu y parviendras, tu hériteras de ma charge de magicienne royale, et c'est un radieux avenir qui t'attend...
Il était impossible de l'arrêter lorsqu'elle se lançait sur ce sujet-là. Arduina l'écoutait patiemment, rêvassant parfois à ses côtés. La Cour... La reine Néréa... la magie...
Or, cette fois, quelqu'un frappa à la porte, en bas, brisant leur petit moment de songerie.
— Kaylee, Kaylee, c'est urgent ! ahanait une voix masculine.
La druidesse se leva, se pencha à la fenêtre.
— Agon... ! Que se passe-t-il ?
— C'est Leyana, viens vite, nous avons besoin de ton aide !
La druidesse descendit en trombe, sans même prendre le temps de ranger correctement le livre de contes – aussi Arduina s'en occupa-t-elle, se hissant sur la pointe de ses petits pieds. Elle la rejoignit au moment où elle s'apprêtait à sortir, une besace bien remplie sur l'épaule. La druidesse, l'avisant, lui lança un regard grave.
— Reste ici.
— Mais...
— Pas de mais, c'est une affaire urgente. Attends-moi ici. Sois prudente, mon cœur.
— Comme d'habitude, se résigna la petite.
Avec l'habitude, les verrous se mettaient aisément. Un mécanisme spécial, conçu par un ami de Kaylee, serrurier réputé, qui ne cessait d'attirer son attention avec ses rouages tournoyant de façon hypnotique. Ce ne fut pas le cas ce jour-là : son esprit était encombré de pensées bien trop sombres pour qu'elle prît de l'intérêt à ce spectacle, aussi fascinant fût-il. Sitôt qu'elle entendit le définitif claquement sec, la petite se précipita à l'étage, puis se colla à la fenêtre. Les silhouettes de Kaylee et d'Agon, pâles dans la lueur de la lune, disparaissaient dans une rue adjacente. Arduina se laissa tomber sur un tabouret, et se résolut à attendre.
Pourquoi Kaylee s'était-elle montrée si rude ? D'ordinaire, elle ne refusait jamais son aide, profitant même de l'occasion pour lui inculquer les bases de l'herboristerie. Cela devait être une affaire vraiment grave pour qu'elle réagisse de cette manière. Oui, voilà, ce devait être l'explication de son comportement. Elle allait rester ici bien sagement et guetter son retour. Oui, voilà, les yeux grands ouverts. Elle battit des paupière afin d'en chasser la fatigue. Ne pas s'endormir, surtout. Kaylee... Agon... Leyana...

Lorsque Arduina se réveilla, la nuit cédait à l'aube son empire. Encore ensommeillée, frigorifiée, la petite se frotta distraitement les yeux. Elle s'était endormie à même le sol, la joue plaquée sur le froid plancher, sous la lucarne qui délivrait un flot de lumière orangée. Bâillant encore, elle leva distraitement son petit minois. Des traînées rouge sang zébraient le ciel pâle, courant en rivières flamboyantes vers l'astre solaire, pour l'heure disque écarlate à demi dissimulé derrière l'horizon des toits. À ciel sanglant, auspices méchants, dirait Kaylee. Kaylee ! Elle devait être rentrée, à présent !
La gamine envoya valser sa petite couverture en laine, sauta sur ses petons. Elle traversa la pièce en quelques bonds, dévala l'échelle – manquant tomber en ratant un échelon, auquel elle se rattrapa du bout de ses pauvres petits doigts crispés.
Son intuition s'avéra lorsqu'elle aperçut une forme féminine, assise sur un tabouret derrière le comptoir. Elle détachait sa tresse de ses longues mains olivâtres, libérant une cascade de boucles brunes qui dévalèrent son dos.
— Kaylee ! s'exclama l'enfant.
Elle se précipita vers sa protectrice, qui baissa des yeux gonflés vers elle. La femme s'agenouilla, lui tendit les bras.
— Arduina, ma petite, tu es là, dit-elle d'une voix tremblante, en l'attirant contre elle.
Son châle vert était tout détrempé, mais elle ne semblait pas s'en soucier le moins du monde. Sa personne exhalait un parfum d'herbes médicinales, odeur forte, amère.
— Qu'est-ce qui se passe ? se risqua la petite à demander, enfouie dans l'étreinte rassurante de l'apothicaire.
— Leyana... elle est... non, non, cela n'est pas de ton âge.
— J'ai six ans, protesta-t-elle. Je suis assez grande pour savoir !
— Oui, tu as raison, pardonne-moi. Six ans déjà... le temps passe si vite...
Elle l'entendit chuchoter le nom de « Vanora », très bas, à peine assez pour qu'on puisse le percevoir. La femme prit une grande inspiration, comme pour se donner du courage.
— Elle n'est plus, avoua-t-elle finalement, à contrecœur.
Elle se tordit les mains, le regard fuyant.
— J'ai tout essayé pour la sauver, pourtant. Le lait de pavot, contre la douleur. Des décoctions et des cataplasmes d'argile elfique, pour l'aider à se détendre. Agon lui tenait la main, tandis que Sylène et moi nous affairions autour d'elle. Mais... rien de tout cela n'a suffi. Elle est partie. Pauvre enfant, qui ne connaîtra jamais sa mère... au moins sera-t-elle, elle, partie avec celui qu'elle aimait à ses côtés, présent jusqu'au dernier souffle...
Arduina se taisait, le cœur battant. Qu'aurait-elle pu dire ?
— Tu n'as pas eu cette chance, ô mon amie, continua Kaylee à mi-voix, très pâle. Tu nous as laissées seules, toutes les deux, avec ton seul souvenir à chérir... Il n'était pas là, mais moi, si... j'étais là... jusqu'au bout, jusqu'à la fin...
Elle était tout à la fois si proche, et si distante... ! C'était un sentiment étrange que de la savoir absente, perdue dans les méandres de sa pensée, alors même qu'elle était juste à côté d'elle. De longues, interminables minutes défilèrent, sans que l'une ni l'autre ne bouge.
— À qui parles-tu ? risqua timidement l'enfant.
— Oh ! Tu es là, soupira distraitement Kaylee. Pardonne-moi mon égarement.
Elle s'ébroua, comme sortant d'un rêve, et, passant les doigts sur ses joues, les retira trempés. Elle les considéra un long moment, songeuse, les commissures frémissantes. Elle secoua à nouveau la tête, et sa chevelure, dansant dans la lumière du jour naissant, se para de chauds reflets. Arduina se leva, se saisit d'une cuvette pleine d'eau qu'elle lui tendit, et dont elle aspergea son visage.
— Du travail, il me reste encore du travail à faire. J'irai voir Agon tout à l'heure. Le pauvre a besoin de soutien. Forte, sois forte...
— Je pense que dormir t'aidera, intervint doucement la fillette.
Un piètre rictus s'égara sur les lèvres de la femme. Du moins était-ce toujours cela de gagné...
— N'est-ce pas le conseil que je te donne souvent ? Sommes-nous bêtes, nous autres adultes, à nous croire au-dessus de tout, lors même que la réponse se trouve en nous. Tu as raison, mon enfant. Un peu de sommeil me sera bien profitable... Oh, ce ne sera pas long, une poignée d'heures à peine. Peux-tu s'il te plaît aller quérir Dario ? Demande-lui de s'occuper de la boutique en mon absence. Tu l'assisteras, n'est-ce pas ? Adorable que tu es.
Elle s'interrompit, se mordit la lèvre. À l'entrain feint succéda l'incertitude. Elle la connaissait bien, sa chère protectrice, sa seule famille, bien, oui, si bien... ce léger pincement au coin des lèvres, ces doigts un peu crispés, ces épaules qui s'affaissaient presque imperceptiblement, elle pouvait les cacher à tous mais pas à elle.
— Et bien... à tout à l'heure, Arduina.
— Attends ! s'exclama soudain la petite, alors que, bâillant, Kaylee se dirigeait vers l'arrière-boutique – là où l'on accédait à un coquet petit salon, un grand bureau rempli de curiosités et, surtout, à leurs chambres respectives.
— Oui ?
— Qui est cette Vanora ?
La druidesse s'arrêta sur le pas de la porte, marquant une légère hésitation, avant de finalement se tourner vers elle.
— Elle était une personne merveilleuse, ma douce.
— Mais encore ?
— Je te parlerai d'elle un jour, je te le jure. Ce moment n'est pas encore venu, hélas, mais il ne saurait tarder à présent.
Puis elle sourit, mélancoliquement, si mélancoliquement.
— Tu me la rappelles quelquefois.


Chapitre 8 - Aidan


Spoiler: show
— Arrête de gigoter, enfin ! grogna Leandras, mi-figue mi-raisin.
— Désolé !
— C'est bien parce que c'est toi...
Perché sur les épaules du jeune homme, Aidan tendait le cou pour tenter d'apercevoir la procession. La curiosité n'avait cessé de le tarauder depuis qu'Aria lui avait appris la nouvelle, le matin même, pleine d'une excitation contagieuse. Les yeux ronds, il manqua tomber lorsque enfin la famille royale parut.
— Ils sont là !
En tête venaient lord Enster et le roi Riwall, montés sur de magnifiques palefrois, gris tacheté de blanc pour l'un, d'un noir profond pour l'autre. S'ils étaient tous deux grands, puissamment bâtis et richement vêtus, la ressemblance s'arrêtait là : l'argent et azur des McCalliscian contrastait singulièrement avec le rouge et noir des McKol. Le dragon écarlate déployait fièrement ses ailes sur les flancs de la royale monture, crachant des flammes dorées sur la soie sombre, écho à la couronne sertie de rubis de Riwall McKol. Enster McCalliscian se pencha un instant à l'oreille de son invité, murmurant une fine remarque qui le fit sourire. Derrière chevauchaient lady Aleya et une femme à l'opulente chevelure d'or, certainement la reine Mirranda. Cette dernière, le port altier, le teint clair comme la neige, les épaules dénudées par une robe rougeoyante, portait autour d'elle un regard serein, saluant la foule des chevaliers et intendants de gracieux gestes de la main. Les serviteurs, dont Aidan et les autres, s'étaient vus repoussés sur les bords de la cour, sous les arcades de pierre – heureusement pour le garçonnet, suffisamment hautes pour qu'il ne se brise pas le crâne contre le plafond.
— Regardez, voilà les royaux rejetons, lança quelqu'un.
La princesse Tarran – l'air bravache, un peu rebelle, un peu garçon manqué – et la princesse Lanna – jolie, vraiment, le parfait portrait de sa mère – allaient de part et d'autre de Lynce, devant leur bâtard de demi-frère, Thennar. Le jeune prince, d'un an son aîné à ce que le garçon avait entendu dire, arborait fièrement les couleurs de son père. La richesse de ses apparats n'avait rien à envier à celle de ses sœurs : sur son doublet de velours noir se dressait, triomphant, le dragon des McKol, et de fines broderies d'or couraient sur les bras de sa chemise ivoire. Un ceinturon, enchâssé d'un rubis gros comme un ongle qui scintillait de mille feux au soleil, lui ceignait la taille. Un vent espiègle avait repoussé en arrière ses mèches rousses, dévoilant ses oreilles. Même à cette distance, on pouvait nettement voir qu'elles étaient pointues. N'eusse été ce minime détail, qui aurait pu le deviner illégitime ? Il chevauchait près de son père et de ses demi-sœurs, la tête haute, le menton orgueilleux, en bonne place malgré sa condition. Il est avant tout de sang royal, après tout. Le prince tourna soudain la tête vers les domestiques – vers lui, le jeune garçon aux prunelles grises comme l'acier, cette couleur maudite qui le condamnait toute sa vie à une condition de bâtard. Non, je ne suis même pas cela. Personne ne doit savoir... Leurs regards se croisèrent une fraction de seconde. Il a les yeux de son père, lui aussi.[/b] Ils le dévisageaient, impassibles, étrangement sereins, presque mélancoliques.
Intimidé, le jeune palefrenier baissa les yeux, rompant l'échange fatidique. Que ne pouvait-il, lui, suivre lord Enster... ! N'y avait-il donc pas de place pour lui ? Il se serait montré agréable compagnon avec le bâtard du roi, il se serait efforcé de toute son âme de faire honneur au nom des McCalliscian ! [i]C'est sans doute lady Aleya qui me l'aura défendu,
bouillonna-t-il intérieurement, avant de se souvenir qu'elle ne savait rien. Personne ne savait rien. Ce secret demeurait le sien et celui de Père.
— Tu es bien tranquille depuis quelques minutes, remarqua Leandras. Mes épaules t'en remercient, d'ailleurs.
— Je réfléchissais.
— Oh ! Vraiment ? Alors comme ça, toi aussi tu es touché par cette vilaine maladie...
— Voilà lord Daeren McRaenyra, le coupa soudain Aria, les yeux luisants.
Leandras ricana sourdement.
— Si Lufrelin te voyait te pâmer devant lord Daeren, il serait bien jaloux !
— Je ne me pâme pas devant lord Daeren ! Et si tu continues à cancaner comme ça, répliqua vivement la jeune fille rougissante, je finirai par me dire que l'on aurait mieux fait de l'emmener lui, et de te laisser toi !
— Tu te moques de ta sœur, mais à en croire ta façon de le regarder, elle n'est pas la seule à admirer l'elfe, fit remarquer Annabelle, l'air de rien.
Cette fois, ce fut au tour de Leandras de rougir.
— Ça n'a rien à voir… marmonna-t-il, baissant la tête.
— Taisez-vous un peu, souffla Kel en donnant un coup de coude à Leandras.
Riant, Aidan releva les yeux. Lord Daeren devait être le séduisant elfe tout de mauve vêtu et marqué d'un cerf blanc caracolant, qui discutait avec un vieux seigneur de bronze et d'azur. En avisant le heaume à mufle de lion pendu à la selle de ce dernier, le garçonnet sentit tout à coup une chaleur se diffuser dans son être.
— Lord Jon McValers, se murmura-t-il à lui-même.
Ce nom courait sur toutes les lèvres des aspirants chevaliers, et tous relataient les exploits de jeunesse du valeureux Jon. On disait qu'il avait défait à lui seul plus d'une centaine de chevaliers accomplis, et on disait encore qu'il avait un jour tué à mains nues un serpent qui menaçait son roi, et dont la morsure était réputée fatale. En fait de mort immédiate, Jon McValers était resté trois jours dans un évanouissement profond, et, alors que tous le croyaient perdu, il s'était éveillé sans garder de séquelles de cette triste aventure – autres que sept cicatrices, preuves de sa bravoure. Ses premières paroles avaient été pour le roi – le père de Riwall McKol, à l'époque –, lui renouvelant un serment de fidélité éternelle. Avoir ce chevalier de légende si près de lui ne pouvait manquer de bouleverser Aidan. Un regard, messire, juste un regard, c'est tout ce que je demande. Mais, contrairement au prince Thennar, lord Jon ne daigna pas lui accorder ce privilège.
Parmi les autres seigneurs, il n'en reconnut que quelques-uns, apprit les noms de quelques autres. Lord Arthur McAvallon, lord Andras McAndiael et son fils aîné, Jarl, lady Osvanna McLyndiael accompagnée de ses deux filles, Fiora et Rosalyn... Jamais n'avait-il eu l'occasion d'assister à si éblouissant spectacle. À vrai dire, il aurait souhaité qu'il dure des heures encore.
— Allez, posez pied à terre, messire chevalier, fit Leandras en se penchant en avant, lorsque tous eurent disparu dans le château.
Il se laissa glisser, à regret. Moi aussi je serai des leurs, un jour, se surprit-il à songer. Je protégerai le roi, et Père sera si fier de moi ! Il n'osa exprimer ce souhait à haute voix. On se serait moqué de ce stupide petit écuyer qui rêvait de caresser les étoiles.
— Tu viendras m'aider aux cuisines, Aidan ? lui demanda Aria, le ramenant à la réalité. On a besoin de mains pour ce soir. Et, qui sait, peut-être que je pourrai te dégoter une place pour le banquet. Enfin, si Leandras le permet...
— Tu peux le prendre avec toi, sœurette, je n'y vois aucun inconvénient... du moins, une fois que nous aurons fini de nous occuper des bestioles.
Aidan acquiesça d'un hochement de tête. La compagnie des chevaux avait beau lui agréer cent fois plus que l'atmosphère étouffante des cuisines, la perspective de pouvoir chiper un ou deux morceaux de tarte lui apparaissait assez séduisante.
— Allez, viens. À plus tard, sœurette !
Longeant les arcades, ils rejoignirent les écuries, bâties légèrement en contrebas, près de la ville, de manière à ne laisser poindre aucun relent jusqu'aux appartements seigneuriaux. Une douzaine de palefreniers s'y affairaient déjà, qui jurant, qui courant déposer une bride, qui encore réclamant une brosse. Le plus jeune n'avait pas vu passer huit printemps, le plus âgé près de cinquante. Ils provenaient de toute la région, du côté de Bourg-Blanc – à son instar – comme de Verterive, du val comme de la plaine. Ici, tout ce que l'on vous demandait était un peu de bonne volonté ; il pouvait en témoigner. C'est une bénédiction que Père m'ait accepté. Qu'aurait dit sa pauvre mère si elle l'avait vu revenir bredouille, elle qui ne l'avait laissé s'éloigner que dans le but de complaire à son détestable époux ?
Il remonta l'allée, longeant les murs afin d'éviter toute collision impromptue. Sa petite Épine semblait l'attendre sagement, suivant l'agitation ambiante avec un air de vague curiosité, le dos encore tout couvert des couleurs McCalliscian. Leandras l'aida à ôter son attirail, avant de filer chercher Kel. Aidan en conclut que sa tâche se trouvait terminée, et, par conséquent, il décida de rejoindre Aria.

Tout comme les écuries, on repérait les cuisines au fumet – certes, nettement plus agréable que celui des chevaux – qui s'en dégageait. La porte en était toute entrebâillée, dévoilant au badaud une longue salle rectangulaire, où régnait un vacarme indescriptible. Il trouva Aria tout au fond, épluchant des légumes, et riant de bon cœur avec une autre servante qu'il ne connaissait pas même de nom. Surprenant sa présence, la jeune fille l'invita à les rejoindre d'un mouvement de bras.
— Tiens, voilà justement Aidan, claironna-t-elle. Aidan, je te présente Syliane.
La dénommée Syliane inclina légèrement la tête, le fixant de ses grands yeux bleus. Elle semblait à peine plus âgée qu'Aria, avec ses boucles blondes et son visage rond qui lui donnaient encore un air un peu enfantin – quinze ans, pas plus.
— Enchantée, Aidan. Aria m'a beaucoup parlé de toi.
— Il faut dire que son arrivée n'est pas passée inaperçue !
Le cœur du garçon se serra. Que voulait-elle dire par là ? Est-ce que cela avait à voir avec son secret ?
— Et bien, à t'entendre, je n'en doute pas. Tu as un gros faible pour lui, ça crève les yeux.
— Tu ne le trouves pas adorable, toi ?
— Si tu le dis !
Aidan, se ménageant une place à côté d'Aria, se vit confier la tâche de laver les légumes. Débarrasser les divers poireaux, carottes et topinambours de leur terre n'avait rien de passionnant pour lui, mais il s'en acquitta avec une certaine bonne volonté, écoutant d'une oreille la conversation de ses deux voisines.
— Tu savais que lord Enster cherchait à conclure une alliance avec lady McLyndiael ? Iris m'a dit que Quentyn avait entendu Lis et Beric jaser d'une possible union entre lord Jordan et lady Fiora, la fille aînée de lady Osvanna. Lis tirerait cette information de lady Osvanna elle-même.
— Comment pourrait-elle le savoir ? s'étonna Syliane, écho aux préoccupations d'Aidan.
— Tu la connais, c'est Lis, après tout.
Elles échangèrent un regard entendu, et la sœur de Leandras pouffa lorsque sa compagne lui glissa un mot à l'oreille.
— Ça se pourrait bien ! Enfin, rien n'est moins sûr. À ce propos, tu as vu lord Daeren ? Tu ne l'as pas trouvé époustouflant, toi ? Mon frère a tout nié en bloc, mais Annabelle a bien vu de quel air il le regardait...
— Leandras ?
— Lui-même !
— Alors, c'est bientôt fini par là ? tonna soudain une voix dans leur dos.
— Presque, Ren.
Ren, le maître queux de lord Enster, était un pur homme du sud, que le seigneur avait rencontré lors d'une de ses pérégrinations aux côtés de son suzerain, lord Riwall McKol, il y avait de cela bien longtemps. À cet égard, ses ragoûts et pâtisseries se voyaient toujours dotés des saveurs de l'enfance de Ren, citrons, oranges ou épices exotiques. Voilà qui devrait complaire à la reine Mirranda, elle qui, princesse encore, n'avait quitté son royaume de Lantosoa que pour rejoindre son royal époux.
— Pas le temps de tirer au flanc. Qu'est-c'que je vais dire, moi, ce soir, à lord Enster ? « Désolé m'sire, vot' festin n'est pas prêt à cause des flemmards qu'on m'a collés sur le dos » ?
— Toujours si pessimiste ! T'auras rien à lui dire du tout. On a presque fini, hein, Aidan ?
— Oui, oui.
— Mouais, ferait mieux de traîner avec les autres mioches plutôt que dans mes pattes. Là-bas, ajouta-t-il bien obligeamment, désignant les jardins du pouce. On saura se débrouiller sans toi, gamin, t'inquiète pas pour ça.
Aidan releva des yeux interrogateurs vers Aria. Après tout, aussi grognard et autoritaire Ren puisse-t-il être, il ne pouvait du moins lui dénier sa responsabilité... n'était-ce pas elle qui l'avait invité à venir les aider aux cuisines ?
— Vas-y, je viendrai te chercher.
— Tu n'es pas obligée, je peux très bien me dégoter un coin où manger, comme d'habitude.
Elle se contenta de sourire.
— Chose promise, chose due.
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Message par Rowenaluna » 13 Déc 2015 17:27

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Partie II
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Message par Rowenaluna » 13 Déc 2015 17:27

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Partie III
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Message par Rowenaluna » 13 Déc 2015 17:29

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Partie IV
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Message par Lyls » 13 Déc 2015 18:43

Après un avant-propos très drôle, tu nous sert un premier chapitre fin et savoureux, qui laisse entrevoir des intrigues palpitantes!

J'attend la suite! ^^
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Message par Rowenaluna » 13 Déc 2015 22:09

Tout d'abord, un grand merci pour avoir pris le temps de lire et de poster quelque chose *_*
Je n'avais pas vraiment pour objectif de faire quelque chose de drôle, mais merci pour ton avis, je suis heureuse que ça te plaise ^-^
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Message par Lyls » 13 Déc 2015 22:16

Spoiler: show
Vous pouvez bien évidemment lire le RPG, mais c'est à vos risques et périls : spoilers de cette histoire, qualité inégale (par exemple, il m'est arrivé très souvent de mentionner des informations pour ensuite les abandonner ou les oublier... et j'avoue avoir parfois un peu honte en relisant mes bêtises :mrgreen:), difficulté à comprendre certains messages quand on n'a pas le contexte, flood... cependant, si vous y tenez vraiment, n'hésitez pas à vous y plonger ♥
Si vous le faites, j'espère que vous prendrez autant de plaisir à lire que nous en avons eu à écrire !


Cette partie m'as fait rire! ^^

En tout cas j'espère que tu aura des retours!
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Message par Rowenaluna » 22 Déc 2015 14:45

Lyls a écrit:En tout cas j'espère que tu aura des retours!

Je l'espère aussi ! ^^

Nouveau chapitre en ligne ! Cette fois, c'est au tour d'Arduina de raconter son histoire \o/
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