« Dis, maman, demanda rêveusement le chaton, d’où viennent les montagnes ? »
A ses côtés, une minoushate adulte le couvait affectueusement du regard. Elle demeura silencieuse un instant, puis lui dit, les yeux dans les yeux :
« Je pourrais te l’expliquer de mille et une façons, toutes aussi rationnelles et agaçantes les unes que les autres, mais je ne le ferais pas ainsi…
- Dis surtout que tu n’en sais rien ! la coupa le chaton.
- Allons, pouffa-t-elle, tu n’as pas forcément tort, mais… Ces récits, j’en suis sûre, ne feront pas briller dans tes yeux des étoiles, aussi nombreuses que celles au dessus de nos têtes ! »
Le jeune minoushas leva un instant la tête pour contempler l’immensité du firmament, puis déclara :
« Bon, c’est d’accord. Raconte-moi ton histoire à toi.
- Cette légende raconte une histoire qui a eu lieu il y a très longtemps. C’était encore l’époque des grands minoushas, alors que le monde de Gothicat achevait de se former. Ils étaient si grands, qu’ils pouvait parcourir le monde en moins d’une heure ! L’un d’entre eux, sans doute le plus beau, se nommait Siberian Tiger, car sa maman à lui en avait décidé ainsi. Et parce que c’est joli, aussi. C’était une créature immense et majestueuse, et on raconte que sa fourrure épaisse était plus blanche, et plus pure que tout ce que tu connais. Et ce magnifique pelage était zébré de longues rayure noires. Siberian Tiger aimait découvrir le monde, aussi il décida un jour d’en faire le tour, et ses éclats de rire émerveillés montaient comme de chants de fleetitwiks dans le ciel. Les divinités de Gothicat, attendries, décidèrent d’un commun accord de lui faire un cadeau : un arbre poussa à Gaïara, le tronc blanc tigré de noir. Quand il le vit, le minoushas au cœur d’enfant remercia les divinités et contempla le bel arbre.
A partir de ce jour, il consacra sa vie et son temps à faire le tour du monde, sans cesse et sans se lasser, ni se fatiguer. Et à chacun de ses tours, un des dieux de ce monde créait quelque chose pour lui faire plaisir. Un rien l’émerveillait : un bourgeon sur une branche, un tourbillon de sable doré, un scintillement de lune, un rayon de soleil, une ondée bondissante, une pierre volcanique légère et éclatante, un nuage en forme d’ürseäl. Au fur et à mesure que Siberian Tiger vieillissait, au fil de ses tours, le monde de Gothicat s’achevait tranquillement. Et les étoiles dans les yeux du minoushas allumaient les étoiles du ciel.
Mais petit à petit, Siberian Tiger, qui était devenu un vieux minoushas, sentit qu’il commençait à être las, fatigué. Il faisait ses tours du monde moins rapidement, et parfois, ses pattes lui faisait mal, à tel point qu’il devait parfois s’arrêter. Un soir, fort attristé, il s’en plaint aux divinités de Gothicat. Ces dernières, atterrées, avaient regardé leur petit protégé suivre le cours de sa vie puis décliner, sans pouvoir rien y faire. Chamsin lui proposa tout de même d’essayer de remonter le temps, pour retrouver sa jeunesse, mais Siberian Tiger déclina son offre. Il était heureux de sa vie, et aurait voulut continuer indéfiniment, mais toutes les choses devaient s’achever, selon lui. Et sa belle vie aussi le devait.
Mais il exprima quand même une dernière requête. Durant ses voyages, il n’avait pas vu d’autres sommets que les volcans de Caldelin, et cela lui avait un peu manqué. « J’aimerais, dit-il, pouvoir devenir à mon tour un de ses sommets, pour continuer à observer le monde et ses merveilles, et pour compléter notre monde.
Les dieux de Gothicat, un peu tristes mais compréhensifs, acceptèrent sans rechigner. Siberian Tiger s’allongea paisiblement sur une parcelle de sa terre d’origine, et dans une douce lumière, les habitants de Gothicat virent ses rayures bouger, se modifier, et dessiner des sommets, des cols et crêtes : une grande chaîne de montagnes. Le vœu du minoushas avait été réalisé. Par la suite, inspirés par Siberian Tiger, les dieux dressèrent d’autres montagnes dans le monde.
C’est ainsi qu’elle sont apparues, chaton !
- Donc si ça se trouve, s’étonna le jeune minoushas, on est face au dos de Siberian Tiger !
- Ça, c’est à toi de le décider. Mais si tu y crois, alors elle y sera. »