je vous propose un écrit de longue haleine; 170 pages word, le premier tome d'un triptyque littéraire, bien que les scènes ne soient pas violentes et ne risquent pas de heurter le public dans leur forme, je déconseille la lecture à des moins de 15 ans parce que l'écriture est un peu "difficile" et recherchée dans la forme je vous laissera en juger, ATTENTION
le livre est encore en correction, par ailleurs je cherche un ou une relecteur/trice (avec contrepartie en échange de son travail) pour m'aider dans cette tache.
Sur ce... Bonne lecture!
Chapitre 1: Prélude Noire
Spoiler: show
Les sabots de métal frappaient le sol pavé au rythme d'un trot soulevé. L'allure soutenue empruntée par l'attelage faisait danser la voiture sur l'avenue en pierres taillées. On ressentait l'élégance de leur marche rapide qui, laissait flotter dans l'espace le chant provoqué par le claquement des fers sur la pierre humidifiée par les première pluies qui s'abattaient sur la ville. Cela, juste après la période sèche, marquait la reprise de l'industrie au cœur actif constituant la cité, loin des appartements royaux. Le dynamisme économique de la ville était principalement dû à l'activité des usines qui pullulaient au sein même du centre-ville, mais qui se développaient également à l'extérieur.
Le chant monotone provoqué par les larges sabots des chevaux mécaniques sur le sol pavé traversait la rue commerçante résonnait dans le quartier riche. De leurs naseaux de cuivre s' échappait une fumée noirâtre à l'odeur nauséabonde. Dans leurs yeux ambrés luisait le feu de leurs engrenages complexe.
Ils marquèrent un arrêt net qui secoua quelque peu les passager de la voiture ainsi que le cocher qui guidait les étranges créatures de cuivre. Le véhicule stationna devant une galerie d'art. Le bâtiment arborait une façade blanc crème qui contrastait avec le paysage gris brun. Son architecture complexe le mettait en valeur et lui donnait presque un air de palais.
On pouvait passer des heures à contempler la simple façade sans pouvoir examiner l'intégralité tant les détails y étaient nombreux. Une coupole en verre trônait sur le haut, à cinquante mètres de hauteur. Sous sa protection, le hall principal. La lumière n'y pénétrait guère malgré ce toit translucide, certains ingénieurs étaient parvenus à recréer une lumière artificielle sur chaque arche à l'intérieure de l'arc de cercle afin de donner l'illusion de clarté.
On devinait de l'extérieur, le dédale que devait être ce monument. Balcons et fenêtres semblaient dévorer les murs. Les arabesques en relief délicates qui les encadraient avec tant de précision appelaient à la rêverie.
Pour parvenir à l'entrée il suffisait de gravir les marches qui menaient aux portes lourdes et brunes présentant les veines ambrées d'un bois luxueux. De part et d'autres s'élevaient, des colonnes taillées dans le marbre blanc, sur les quelles reposaient un porche délicatement sculpté. On n'usait de cet art qu'en de rares occasions car son coût était plus que considérable. Il fallait alors solliciter nombreux architectes et ingénieurs ainsi qu'un nombre incalculable d'ouvriers. Pour ouvrir les travaux de ce genre de bâtiment, il fallait tout d'abord que son but soit public, puis faire passer sa proposition en tant que contremaître à la Oldcast de son quartier. Celle-ci était ou non, accordée par le Lys qui envoyait en personne cette demande à la couronne. Elle était ensuite revue par son administration et, finalement, son acceptation reposait sur la signature de la reine. Cette organisation prenait souvent plusieurs semaine en vue de toutes les réclamation d'espaces par les directeur des usines.
Malgré l'investissement de durée qu'il fallait pour entreprendre ces travaux, le titan de pierre fût érigé en un laps de temps très court. La reine était la mécène protégeant l'artiste la plus reconnue au sein de la la capitale. Afin de l'encourager dans sa production et inviter d'autres peintres et sculpteurs à développer leurs travaux, elle avait fait bâtir cet endroit à une allure effroyable.
Désormais, il accueillait bien des peintres qui exposaient dans chaque pièce, aucune n'était disponible et les listes d'attentes étaient interminables. Pour les futures productions à venir, on envisageait même la création d'un second bâtiment destiné à accuellir plus d'oeuvres.
Au pied des escaliers qui menaient à l'antre gigantesque, la voiture au toit cuivré révéla un intérieur aux teintes rougeâtres sombres et luxueuses. La lumière n'y pénétrait pas, le velours épais des rideaux clos ne laissaient pas aucune place à un simple rayon de lumière.
Visiblement, l'occupant n'appréciait que peu les voyages à découverts, tenant son intinimté et son anonymat, la rue était déserte, la population de la ville haute préférant sans nul doute se rassembler dans les endroits secs. La silhouette sortant de la voiture dévoila le corps capé d'une femme dont le visage était dissimulé par le lourd tissu. Sur son habit de voyage noir aux reflets ambrés, se détachait un pendentif contrastant avec les couleurs chaleureuses. Une pierre bleu profond, un saphir des plus purs semblait reposer sagement sur sa poitrine. La pierre noble témoignait de son rang social élevé, les armoiries d'or fin l'encadrant, on devinait aisément son lien profond à la couronne. La femme descendit, chevalet sous le bras et alla se placer au devant de l'attelage merveilleux. Elle paya le cocher d'une bourse généreuse.
Elle posa ses yeux au fin fond des prunelles orangées des automates qui ne bronchèrent pas. Leurs naseaux dilatés crachaient des nuages de fumée gris sale qui s'élevait paisiblement, avec une légerté sans pareilles. Les fin doigts de la dame se déposèrent délicatement sur le chanfrein de l'animal placé à droite, elle frissonna au contact du métal chaud , mais le corps de cuivre, lui, resta impassible à la caresse attentionnée.
S'il était impossible de percevoir l'expression de l'humaine, on devinait la déception d'une émotion dissimulée comme ce visage sous le textile trop lourd.
Elle opta pour un pas assuré et se dirigea mécaniquement vers l'immense porte du Pavillon des Visionnaires. Si sa démarche révélait sa noblesse et son élégance, il était presque évident qu'elle n'appréciait pas se trouver en ces lieux. Elle gravissait une à une les marches qui se présentaient à son passage, arrivée sous le porche, la silhouette poussa les portes qui grincèrent sous le mouvement. Lorsqu'elle pénétra dans le hall principal et qu'elle laissa sa capuche tomber gracieusement sur ses épaules et se dévêtit de sa cape de voyage révélant à tous son visage digne et fermé,. Les conversations qui emplissaient la pièce un court instant plus tôt s'éteignirent immédiatement, on se tournait vers la femme au visage fin, aux traits durs et délicats. Ses yeux gris aux très légères teintes bleutés, a peine visible tiraient sur l'intérieur de l'iris à une couleur si claire que l'ont eut cru du blanc. Il était le regard des plus perçant et plus froid qu'il était possible de voir en ce monde.
Ses lèvres fines étaient serrées, son expression, figée Elle était indiscutablement une femme magnifique, et représentait à la perfection l'idéal esthétique prôné par la société . Mais une chose sur son visage la rendait terne, lointaine. Les tâches de rousseur qui perlaient ses maigres pommettes s'étiraient comme un masque sous ses yeux, un morceau de ciel, parsemé d'étoiles qui s'étaient réfugiées sous sa peau blanche.
Bien vite, les rumeurs coururent dans la grande salle autour de la principale intéressée, insensible, elle s'en fut d'un pas sûr vers l'aile qui lui était dédiée. En ce jour, la peintre la plus cotée de la ville haute avait été convoquée sur les lieux de son expositions afin que son témoignage paraisse dans le Nedleweek, journal hebdomadaire courant qui relatait les plus importantes informations circulant dans la Haute. Il était le journal le plus apprécié par les classes élevées, qui, demeuraient des gens simples, ne s'informant que de ragots ou, informations principales. D'autres journaux étaient également très appréciés, mais ciblaient un public moins large. Dans la ville basse circulaient d'autres gazettes un peu différentes, rares étaient ceux dont les moyens leurs permettaient ce genre de médias onéreux. Son regard croisa celui d'autres artistes exposants dans des salles voisines, elle ne n'y prêtait aucune attention, ces derniers se turent sur son passage. Elle était considérée comme une mentor selon la Haute, pour chaque artiste et son travail les invitaient tous à produire plus encore, et d'une qualité supérieure. Néanmoins, ceux-ci nourissaient tous un sentiment de mépris profond pour la jeune femme hermétique aux jugements.
Elle ne pouvait donc décliner cette invitation qui pourtant ne lui plaisait guère. On remarquait à son allure sa connaissance parfaite du dédale, ce lieu enchanteur, se faufilant comme une ombre entre les visiteurs admiratifs face aux dernières œuvres Des enchères virtuelles montaient, estimant le prix convenable pour la future vente qui promettait d'être exubérante. Elle parvînt sans encombres à la salle principale de l'exposition, sans avoir posé les yeux sur les murs des couloirs richement ornés.
Les mouvements rapides et réguliers de la pierre bleue sur sa poitrine oscillaient comme un pendule, sur son passage. Il intimait à tous le respect de sa personne.
L'effervescence emplissait la pièce, les conversations allaient de bon train, l'odeur de l'alcool flottait tout autour. Certains visiteurs semblaient par ailleurs, déjà à la limite de l'ivresse.
L'alcool avait une grande place auprès des amateurs d'arts qui assuraient avoir un esprit plus ouvert au sens et au message que transportait le travail, la toile, la sculpture. La peintre en riait doucement. Malheureusement, elle n'était pas en position d'exprimer quoique ce soit à ce propos.
Malgré la densité de la foule, elle parvînt à atteindre le cœur de son exposition où étaient installés une petite table ronde, lisse, au bois verni et deux chaises simples destinée à accueillir les protagonistes qui animeraient le débat potentiel.
Le faux sourire qu'elle avait dessiné sur ses lèvres fines était en désaccord avec son talent incontestable pour la peinture, il était alors fort aisé de deviner son agacement dû à sa présence ici. Lorsqu'elle aperçut le journaliste qui avait été assigné à son interview, elle souffla, exaspérée par avance. Ne cherchant pas à masquer son agacement elle se résolut à se laisser questionner, ainsi, elle se promit intérieurement d'abréger son supplice le plus vite possible.
Comme la peintre l'avait prédit, le journaliste se précipita vers elle, les bras grands ouverts, fidèle à lui même et ses habitudes. L'artiste abhorrait son comportement excentrique et familier qui lui donnaient l'envie irrépressible de le remettre à sa place. Il était couronné d'un élégant haut de forme noir. Celui-ci dissimulait une grande partie de son front lisse. Ses yeux verts pétillants absorbaient tous les regards admiratifs, pleins de rêves et de vivacité. Elle, n'y lisait en fouillant ses pupilles dilatées que de l'intérêt vif pour sa propre personne. S'il Narcisse avait existé, il en était, à l'heure actuelle, la plus conforme incarnation. Sa mâchoire était encadrée par une jeune barbe entretenu avec soin si l'on se fiait à sa taille régulière et parfaite. Son torse arborait fièrement un jabot couronné d'un étincelant saphir. Ce dernier, immaculé, dont les ondulations étaient tout à fait symétriques, contrastait sa queue de pie d'un brun si sombre qui tirait presque sur le noir. Son manteau entrouvert laissait percevoir un chemisier flambant neuf, raffiné d'un blanc crème agréable à contempler.
Il portait en bas, un simple pantalon en toile d'un blanc parfait, qui pour la saison semblait un peu léger. Ses chaussures en cuir, luisantes, transpiraient le luxe. Un simple coup d'œil suffisait à le détester, purement et simplement, sans donner raison apparente à cette haine nourrie pour cet odieux personnage. Par ailleurs l'avis de la jeune femme à son propos était très tranché, sa personnalité simpliste et purement égoïste l'invitait à le mépriser profondément. La simple idée de se retrouver avec lui la rendait nauséeuse. Ce dernier l'aborda d'ailleurs avec toute la fausse courtoisie donc il était capable.
"Ma très chère Abeelyn! clama-t-il tout en lui baisant le dos de la main plongeant ses yeux profonds dans ceux de la dame qui ne chercha pas à éviter les deux émeraudes la fixant avec insistance.
-C'est Ackermann pour vous Sir Wendell. Cracha l'intéressée impassible. Peu impressionné, il redoubla d'hypocrisie sourire et de charme ravageur.
-Bien sûr, bien sur, Lady Ackermann, veuillez je vous prie m'excuser de cette impolitesse à votre égard, vous m'en voyez confus... En prononçant ces mots, les lèvres pâles découvrirent ses dents blanches, étincelantes qui dessinaient un sourire manquant cruellement de sincérité. L'artiste l'avait bien remarqué mais choisit de ne pas s'arrêter à ce genres de détails, préférant mettre au plus vite un terme à cet entretien.
-Qu'importe. C'est oublié. Passons, je vous prie les mondanités, ne nous encombrons pas de ces manières que tout deux jugeons futiles. C'est ridicule. Venez en au fait. Cassa cette dernière quelques peu agacée.
-Que d'impolitesse aujourd'hui je fais preuve! Je fais trépigner d'impatience une femme fort occupée et pressée!"
Sous le regard assassin que lui lança la Dame, le pitre changea son attitude, estimant que ce dialogue ne lui apporterait que les foudres de la jeune femme et cessa son jeu, face à elle, il avait déjà perdu. Et il en avait conscience. Il était idiot. Mais pas stupide. Or, trop titiller cette personnalité en public pouvait lui valoir très cher. Si elle détestait les dictats, les règles de conduite sociétale adoptées par la Haute, elle les avait tant côtoyé qu'elle les connaissait par cœur. Ainsi, pour la peintre, il était fort aisé de mettre un adversaire au tapis afin qu'il se ridiculise devant une assemblée, sans même qu'elle dusse hausser le ton. On la craignait et la respectait pour son talent, sa force, mais aussi pour ce trait de caractère. S'étant forgé une réputation d'acier au fils des ans, on connaissait son pouvoir en tant qu'oratrice de mérite.
"Fort bien! Ainsi, commençons l'interview, soupira l'homme qui se résigna.
Il poursuivit, posant les yeux sur la feuille de notes qu'il sortit de sa poche
-Les questions suivantes porteront donc principalement sur votre parcours, votre expérience... Il marqua une hésitation, et reprit avec lassitude
- ... Vos impressions, bla, bla bla... Il accompagnait ses dires de gestes de la main pour souligner son ennui profond.
-Et, pour finir, nous espérons qu'enfin vous daignerez nous révéler vos principales sources d'inspirations, ainsi que le lien que vous entretenez avec la couronne!
L'intéressée grimaça à cette phrase et se tendit quelque peu, ayant deviné sa dernière requête. Pendant ce temps, l'assemblée était pendue aux lèvres du journaliste qui allait annoncer la dernière demande qu'il allait adresser à l'artiste.
-Bien entendu, l'ultime question concerne ce que nous tous attendons depuis bien des mois! Nous savons tous qu'il est très étonnant qu'à votre âge... Je serai bref! Quelle est donc la personne de la haute qui vous fait frémir? Tant de secrets à lever! Je piaffe d'impatience!
Outrée, Abeelyn cracha avec véhémence
-S'il est vrai qu'il est très mal vu de paraître en société en tant que femme seule, j'en assume également les lourdes conséquences. Ma vie privée ne vous concerne en aucun cas. Je vous prierais alors de cesser vos intrusions intempestive dans les domaines qui ne vous regardent pas. Je ne suis pas un simple sujet à vos rumeurs indécentes!"
Son exclamation abattit les conversations qui, depuis les dernières phrases de Sir Wallen faisaient rage dans la salle d'exposition. L'assemblée, alerte et silencieuse, emplie de curiosité se tourna vers les deux protagonistes.
Dans ses pupilles rétractées luisaient les foudres assassines qui déchirèrent les prunelles vertes de l'impertinent qui fût déstabilisé un court instant, ne sachant que répondre, profondément choqué par la violence d'une réaction qu'il n'avait pas même osé imaginer.
La salle d'exposition était figée. Suspendus aux murs blancs crème, les tableaux colorés tremblaient. Ils étaient tous alignés de manière régulière, leurs cadres fins les mettaient en valeur, leurs teintes claires et vives contrastaient avec le support, ce qui invitait le spectateur à se plonger dans l'œuvre. Tout était si lisse que l'on devinait à peine les coups de pinceaux qui ne laissaient paraître aucune hésitation. Le geste était précis, net, il se rapprochait sans conteste de la perfection.
Si le silence était un lieu, on aurait aisément pu le représenter par un désert humain. Plus une expiration. Les aiguilles étaient figées, l'instant en suspens. Plus rien ne semblait porter un souffle de vie.
Seule la poitrine de la jeune femme se soulevait et s'abaissait de manière régulière sous sa respiration saccadée. Sur son visage crispé, on lisait clairement la haine qui grandissait en elle pour ce personnage. Le silence pesant fût brisé par une phrase emplie de reproche en direction du journaliste.
"De plus, adresser cette requête à une Dame, qui de surcroit est de rang plus élevé que le votre, prouve à tous que vous êtes bien un odieux personnage. Poursuivit Lady Ackermann sûr ton plus maîtrisé et plein de défi.
L'homme répondit à cette provocation à nouveau un long silence, qui opposa les deux jeunes gens et leurs avis contraires.
Bien vite, il capitula, comprenant que de cette manière, il n'arriverait à rien.
-J'aurais essayé, souffla ce dernier, levant les mains, en signe d'abandon, un sourire résigné sur ses lèvres lisses.
La tensions redescendit sur les spectateurs, qui, déçus, reprirent leurs occupations, ces dernières se résumant à de futiles dialogues, creux, sourds et hypocrites.
-Posez moi donc vos questions, que l'on en finisse, lâchât-elle fatiguée.
-Rien de croustillant pour nos lecteurs... Qu'importe j'imagine que c'est ainsi. Il avait longuement soufflé en prononçant sa phrase come pour tenter de culpabiliser celle qui se moquait éperdument de ses états d'âme. Il poursuivit.
-Bien, l'article paraîtra après demain, et sera à la Une de notre journal, vous aurez du succès! Alors! Heureuse?
-Sachez Monsieur que je n'ai cure de votre torchon relatant les pires rumeurs de la ville haute, si j'y figure c'est par pur obligation sociale. De plus, j'ai conscience que la moitié de mes paroles seront déformées ou sectionnées afin de rendre tout cela le plus intéressant possible. Iparler des mon travail est très déplaisant. Si l'on veut le lire, le comprendre, il suffit de s'y plonger et non pas le regarder videment, en s'intéressant simplement à sa valeur.
-Je me dois de vous interrompre, pardonnez moi, mais... Pour tout vous dire, il me semble plus pertinent de vous laisser parler comme vous l'entendez plutôt que vous guider sur des questions inintéressantes à vos yeux. Nous vous écouterons, et alors j'écrirai ce qui me semble le plus perinent dans mon article. Ainsi n'est-il pas plus beau de ne parler que de ce qui vous anime? Ce serait bien plus riche, moins fade."
Son ton état doux, simple, et sur ses lèvres, apparaissait un bienveillant sourire.
Jamais dans ses gestes et attitudes il n'avait paru si sincère, sur son visage se lisait un air sincèrement bouleversé, quoique à déchiffrer. Il désigna à la Dame sur une estrade, un siège lui étant destiné ,en face de sa propre chaise. A leurs cotés, une table en bois, relativement basse, sur laquelle étaient posés une bouteille de verre contenant une eau plate accompagnée par deux grands verres en cristal fin.
A ces mots la Lady se radoucit quelque peu, puis, se consolant, elle dédiabolisa l'entretient, prit place sur son siège imitée par le journaliste qui s'assit en face d'elle. Cette dernière balaya rapidement la foule, inspira profondément, et enfin, commença.
L'interview avait duré une bonne heure durant laquelle l'auditoire était resté passionné, pendu aux lèvres de la jeune femme. Si le journaliste semblait perdu, égaré par la voix délicate de celle qu'il interrogeait, il avait inscrit avec la plus grande attention les paroles de son interlocutrice qui avait prit son mal en patience. On pouvait deviner aisément que cette interview lui déplaisait encore, mais sentant la fin approcher, elle s'était détendue tant bien que mal. Lorsque Sir Octave Wallen enclencha une nouvelle fois l'interrupteur du petit enregistreur cuivré, son grésillement léger cessa. Lady Ackermann se ferma immédiatement. La plume dans la main du jeune homme termina sa course gracieuse déposant un point net sur le feuillet métallisé du carnet de cuir qu' Octave Wallen tenait en sa main gantée. Cela marqua également la fin de l'entrevue entre les deux célébrités de la Haute.
La peintre estimant que son travail était terminé, se leva sans un mot, salua de la tête l'étrange personnage, qui, le lui rendit. Il plaça sa main gauche sur son haut de forme, le faisant basculer légèrement vers l'avant, ce qui dissimulait la quasi totalité de son visage, laissant visible, seul son petit sourire narquois.
La Dame descendit l'estrade arborant un air certes sévère mais plus détendu, soulagée par la fin de l'évènement. Les visiteurs, accrochés à ses lèvres avaient bu une à une ses paroles et restaient pourtant sur leur faim. Les mains se levèrent par dizaine pour l'interroger, peu perturbée Abyleen se dirigeait, chevalet sous le bras vers la sortie de l'exposition, talonnée par Octave Wallen. Milles murmures, paroles emplies de frustrations fusaient à travers la grande salle . L'interview avait soulevé bien plus d'interrogations que proposé quelques réponses auprès des auditeurs passionnés. Ayant au préalable prévu ce genre de réactions, la peintre à la chevelure brune tirant vers l'ébène sur laquelle fuyaient des reflets de feu, poursuivit son chemin sans se soucier de ceux qui se pressaient sur son passage.
Elle avait traversé le Pavillon des Visionnaires sans encombre, la densité de la foule ne lui ayant pas posé plus de difficultés qu'à son arrivée. Elle avait parcouru les salles de manière mécanique. Abeelyn savait qu'elle pouvait faire mille fois le trajet même aveuglée. Sur son chemin s'étaient succédées les toiles et les sculptures, tantôt paysages urbains, ou superbes sujets aux teintes rouges et ambres. Si certaines oeuvres se confondaient dans les espaces épurés, d'autres se détachaient du mur blanc par leur taille gigantesque ou les sentiments qui émanaient d'elles. A chaque pas, un nouveau monde. Les spectateurs, étaient colons émerveillés. Seulement, ces terres restaient intouchables, irréelles, bien loin , hors de portée de l'Homme destructeur, vil et égoïste. Les artistes eux mêmes n'étaient que les objets d'une force plus grande, simples instruments, esclaves de la création. Ils étaient incapables de toucher leurs œuvres, toucher leur cœur. La plupart se contentait alors de leur position, les autres n'en avaient pas conscience. Abeelyn avait bien d'autres desseins. Elle poussa enfin les lourdes porte et se trouva au dehors de ce monde odieux.
De sa poche près de son cœur, elle saisit sa montre à gousset qu'une chaînette retenait et la consulta. Lady Ackermann parut satisfaite, un sourire se dessina sur son visage d'une pâleur rare. L'horaire qu'elle s'était imposé état correct, tout rentrait dans les temps, elle s'était même fixé une marge afin qu'un imprévu ne la retarde pas. Tout avait été calibré au détail près, tout avait été étudié et pensé, non par obligation, simplement par habitude. C'était une obsession chez elle. Le temps. C'est pourquoi dans son atelier, dans sa galerie, on trouvait bien souvent des travaux, dessins, croquis ou études pour une réalisation ultérieure de vanités. Avec les paysages merveilleux, c'était ce qu'elle peignait le plus et malgré ses heures à rectifier le moindre détail sur ses toiles. Jamais elle n'était satisfaite de quoi que ce soit et tendait à la perfection sans pouvoir l'atteindre ou même l'effleurer. Aussi rigoureuse envers les autres que pour elle même, sa séverité n'avait d'égal que son talent. La perfection. Rien d'autre n'avait d'intérêt à ses yeux. Atteindre la chose la plus belle, la plus parfaite qui soit. Toujours. Voilà pourquoi elle portait tant d'intérêt à la ponctualité.
Abeelyn sentit qu'une nouvelle fois, elle avait vu juste avec sa marge de temps, devinant l'imprévu arriver à grand pas. Cette dernière ne chercha pas à l'éviter sachant pertinemment que ce qui devait se passer se passerait quoi qu'il en soit. Elle s'appliqua alors à l'attendre plutôt qu'à le fuir. Après tout, elle avait le temps
La Lady se tenait droite, à l'extérieur sous le porche.
On entendait la mélodie triste et sourde des gouttes d'eau qui retentissait sur le sol. Les gouttelettes sales glissaient sur la façade immaculée du fier bâtiment laissant sur leur passage une trainée noirâtre qui témoignait parfaitement du chemin qu'elles avaient emprunté. La trace résultait d'un mélange boueux entre la cendre, l'eau, la poussière et résidus encore non identifiés à ce jour. Il était incontestablement le fruit d'expériences douteuses dans les usines rejetant d'étranges déchets. Bientôt le gouvernement mettrait en place une protection provisoire des bâtiments officiels afin de les préserver de la saison humide et sale. Les dégâts étaient trop considérables chaque années pour omettre de vernir les monuments. Avant de se couvrir son visage à nouveau sous son capuchon, la dame jeta un regard vers le ciel noir. Il était tapissé d'épais nuages, menaçant, planants sur la ville. Leur aspect nébuleux aux nombreuses ondulations cotonneuses dessinaient sur le plafond noir une toile merveilleuse malgré leur apparence repoussante.
Ils obstruaient alors l'azur depuis toujours et leur omniprésence pesait sur chaque habitant de la métropole, quoique beaucoup les eurent occulté par simple habitude. Un quotidien terne et redondant était la cause de cet aveuglement. Beaucoup ne remarquaient plus les délicates nuances charbons et grises dont les nuages s'étaient parés.
Ils étaient les seuls coupables de la pluie acide qui, sans relâche s'abattait sur les toits fatigués des résidences sombres et humides. En effet l'eau avait traversé ce mur vertical et inlassablement, en mille gouttelettes, s'était écrasée sur le sol de la cité éclatant sur les toits. Imprégnant les corniches, les passants, diffusant de toutes parts, leur senteur nauséabonde qui stagnait dans les ruelles inondées par les cendres. Si le nom donné à cette étrange pluie était plutôt agréable à l'oreille, le paysage ne l'appréciait guère. Namida n'avait de beauté que l'appellation, car lorsqu'elle s'en venait, elle rafraichissait peu à peu les sols et l'atmosphère, abattant lentement la lourde chaleur imposée par la Sèche. Malheureusement, il était fort désagréable de sentir sur sa peau, glisser les poussières et déchets qui imprégnaient les corps et les habits.
C'était une période que beaucoup haïssaient, il n'y avait au-dehors, plus une âme qui vive en cette triste saison. Certains pourtant y ont trouvé leur compte. Les gérants, les directeurs d'usine. La Haute en somme.
Il avait été décrété une fois Namida de retour, que la pollution de la production qui engendrée par les bâtiments n'aggraverait point la situation. De plus certains affirmaient que l'humidité préservait des maladies alors que la chaleur les attisait, par conséquent, si la pluie était désagréable, elle n'était pas dangereuse pour le corps et la santé. Si certains médecins affirmaient le contraire, les puissants avaient trouvé le moyen de les bâillonner afin de maintenir leur emprise et assoir leur pouvoir économique.
La ville alors ne connaissait aucune saison propice. Les habitants subissaient Namida, puis, la Sèche qui, était une véritable infamie; le ciel obstrué, la population étouffait sous la chaleur qui stagnait et imprégnait les bâtiments. C'était à cette période assasine que le taux de mortalité était le plus élevé. Les premières victimes étaient les nourrissons, déjà fragilisés. La pollution, la chaleur écrasante, les achevaient aisément. Les secondes victimes étaient, bien entendu, la population de la ville basse, bien plus en proie aux températures torrides. Leurs habitations étaient en effet bien moins préservées de la chaleur étouffantee qui s'écrasait lourdement .
Cependant le pic de mortalité se trouvait aux trois dernières semaines de la chaleur. C'était peu avant l'arrivée du déluge, ainsi l'humidité prenait place, se faisait plus pesante par cette température accablante. Il était très difficile de circuler, l'activité de la métropole s'en ressentait fortement. C'était à cette époque de l'année que l'on puisait dans les réserves faites durant le long cycle de Namida. La cité était très régulièrement approvisionnée par des caravanes provenant de l'extérieur. Les échanges se faisaient entre produits industriels et nourriture que l'on convertissait en gélules nutritives. Quand à l'eau sous forme liquide, réservée aux privilégiés de la Haute on la stockait afin de ne pas avoir à filtrer Namida. Cette eau était le résultat de forages profonds sous la surface terrestre. Les réserves s'épuisaient, et il avait fallu chercher un substitut de la molécule afin de créer des pilules synthétiques pour les bourgeois, les travailleurs, les habitants de la basse. Des réservoirs étaient soit-disant installés bien au dessus des nuages par des équipes météo généralement formées par l'élite de la population. La monarque était également incapable de certifier la justesse de ces réserves aériennes. Les aéronautes avaient le privilège d'observer depuis leurs dirigeables un paysage merveilleux. On disait qu'il était fait de ces pierres les plus prisées et précieuses dont les nobles ornaient leurs habits onéreux pour prouver à tous leur classe sociale. Sa couleur resplendissent était changeante selon eux et là haut, les nuages n'étaient que pureté. Abeelyn avait toujours rêvé de d'avoir accès à ces lieux. Malheureusement, l'autorisation ne lui avait jamais été accordé et elle vivait en silence cette déception sous le plafond noir. Dévoré par les nuages, il était impossible de deviner sa prétendue présence. Ceux qui certifiaient de son existance n'avaient pu porter quelques preuves à quiconque. Or, l'humain est imparfait, par extension, un menteur. Seulement, l'artiste aimait rêver.
Le ciel. C'est ce qu'elle avait lu dans les livres anciens. Elle appelait ce plafond le ciel. Mais les tours de la villes semblaient infinies. Y avait-il alors autre chose? On pouvait seulement observer les tours englouties par la fumée des usines depuis le bas, depuis les trottoirs. Que des tours. Les vapeurs qui s'échappaient de celles-ci, les conduits électriques, les lourds tuyaux étaient les seuls éléments visibles depuis le sol. Une fumée noire, une brume malodorante. Des immeubles. Des géants dont on ne voyait pas la fin.
On devinait au loin le plafond noir grâce aux épaisses colonnes de charbon, de suie, de cendres qui s'élevaient, s'agglutinant aux autres.
On disait que si cette situations perdurait, le plafond descendrait jusqu' aux habitants, les tuants, dans leur propre brouillard.
Mais Abeelyn l'avait toujours appelé "ciel". Cela adoucissait ce concept. Celui de la condamnation. Inévitable. Ciel. C'était un joli nom pour un assassin.
Ceux de la météo disaient que de là haut, on voyait les convois arriver, les matières premières qui servaient à concevoir les pilules nutritives. Tout le domaine agricole était situé bien au loin, en marge de la cité, si on en croyait les rumeurs. On ne recensait alors que bien peu de villages la cartographie de l'État était assez peu précise et il n'était pas rare que la couronne fasse appel à des explorateurs afin de mettre à jour frontières et villages avoisinants. La capitale était également la seule ville reconnue. Enfin, c'est ce que l'on disait. Abeelyn doutait de ces informations, jamais elle n'avait vu un seul convoi. La reine elle-même avait confié à la peintre n'en avoir jamais vu, quand aux villages, elle doutait, elle aussi, de leur existence. Les explorateurs revenaient sans information la plupart du temps, quand ils ne mourraient pas d'asphyxie dans la jungle d'usines désaffectée qui s'étendait sur des kilomètres autour de la cité noire.
On narrait que l'extérieur était dangereux, les conditions y étaient précaires, il fallait y être né pour s'acquitter des tâches paysannes et pour y vivre, selon les éclaireurs. Abeelyn les avait longtemps soupçonés de mensonges, mais s'était résignée, elle ne pouvait pas opposer son opignon à leurs dires. Le passage des caravanes diminuait de moitié la saison sèche, les cultures étaient moins riches. Sur ces trois dernières semaines il était impossible pour elle de circuler au-dehors de leurs frontières. Ainsi les banquiers faisaient de gros achats durant les plus afin de faire sur ses produits rares un bénéfice plus considérable sur le dos de ceux qui avaient été trop peu prévoyants. C'était chose aisée pour eux, en effet, ils disposaient d'un droit prioritaire et exclsif sur le marché (des parts ahetées à prix d'or), ainsi, ces matières premières leur revenaient. La revente concernant ces aliments était dirigée vers les créateurs de pilules. Ces trafics s'effectuaient dans l'ombre, nul ne voyait jamais une miette de cette fameuse "nourriture". Alors, bien souvent, ceux de la ville basse qui avait survécu aux chaleurs, succombaient à la famine. Leurs provisions de pilules étaient vite épuisées. Il y avait, pour les saisons les plus arides, se déroulant une fois toutes les décennies, un cycle aride durant sur une année. C'est pourquoi, la monarque précédente, au début de son règne, lasse de voir les températures décimer ses sujets, avait fait bâtir tout un réseau souterrain accessible uniquement en cette année. C'était un refuge utilisé sur la période complète. Il fallait alors chaque année, pour se préserver, créer des réserves nutritives considérables dans ce but.
Il demeurait pourtant encore certaines habitations à la surface, encore occupées lors de la Sèche. Ces dernières appartenaient aux classes les plus pauvres qui comptaient pour la plupart parmi elles et domestiques au service de la Haute, les familles ouvrières ainsi que les Hypnophages la Souricières et autres quartiers malfamés . Ceux-ci étaient pour la plupart condamnés à une existence banale triste une vie difficile et dans le besoin. Les possibilités d'évolution étaient, sinon impossible, rarement réalisable. La place de ces familles était généralement dans les bas-fonds, à creuser des galeries réservées aux plus riches, une tâche extrêmement ingrate, dangereuse et peu rémunérée. Malheureusement en cette année sèche, elle était la seule source de revenus pour ceux de la ville basse. En échange des risques encourus, on leur offrait assez de comprimés bleus pour rassasier leur famille sur quatre semaines. Les plus chanceux résidaient dans les maisons des plus aisés en tant que domestiques ou serviteurs et remontaient à la surface pour nourrir leurs familles. La plupart des habitants de la surface travaillaient en équipe et se relayaient pour limiter les déplacements trop couteux en énergie. Ainsi les classes les plus nobles séjournaient dans les sous-sols bien protégés de la chaleur, des intempéries et leur source hydrolique était bien plus abondante. Les couloirs souterrains étaient larges et les murs épais insonorisaient parfaitement les habitations creusées à même la roche légèrement humide. Plus l'on s'enfonçait dans les profondeurs, plus la luminosité baissait, en guise de torches, était placées dans les murs des pierres incandescente qui ne réclamaient pas d'oxygène pour illuminer les galeries. Au plus profond sous la terre demeurait la souveraine.
Abeelyn se surprit à penser à la dernière année qu'elle avait vécu enfermée, sa condition sociale lui avait permis de vivre au plus bas, en sécurité aux côtés de la couronne. Bien évidemment tous n'avaient pas eu cette chance. Sa rêverie avait duré une seconde. Le temps qu'apparaisse à ses côtés l'odieux journaliste qui, se plaça sa hauteur. A sa vue, la peintre soupira lourdement et bien qu'il fût très impoli de mettre fin à une conversation de manière silencieuse, La Lady ne s'en préoccupa nullement et entreprit de rejoindre sa voiture qui l'attendait sagement sur la chaussée déserte. Là, sans interruption, s'écrasaient une infinité de perles noires, desquelles s'échappait une légère fumée. De surcroît, elle bascula sa capuche sur son visage, ce qui, était très inconvenant en la présence d'un autre individu. Loin de se décourager Sir Octave Wendell ouvrit son parapluie sobre et proposa à la dame, protection. Si Abeelyn le haïssaient profondément, elle n'était pas assez discourtoise pour refuser ses avances une troisième fois et, se résigna, laissant de ses lèvres fines s'échapper un long soupir sifflant entre ses dents serrées.
Son visage ne se décrispa pas lorsqu'elle daigna se découvrir pour prendre place sous le parapluie noir que lui proposait le Lord. Celui-ci arborait un sourire radieux, respirant la victoire, ce qui, agaça profondément la Dame. Au cours des années s'était fait la réputation d'un homme qui aimait les femmes. Qui les désirait surtout. Les collectionnant, épinglant leurs cœurs au sentiments désintéressés. Il avait pris pour habitude de mettre un terme à une relation au second mois de fréquentation, à une date précise. Il avait charmé la quasi-totalité des célibataires de la Haute, sélectionnant au premier abord les plus jeunes et les plus fortunées. Il était évident que le Sire était plus animé par les coups de poker qu'à l'alliance. Abeelyn était consciente du fait qu'elle était la prochaine sur sa longue liste. En effet, elle était une femme prisée et son habitude à repousser systématiquement les avances de chaque prétendant, avait attiré la convoitise de Sir Wendell. Celui-ci s'était promis souhaitait plus que tout, l'ajouter à son tableau de chasse. Il importait bien peu à l'homme le ressenti de ces femmes brisées puisque lui-même semblait dépourvu de sentiments. L'artiste si elle n'était pas intéressée, ou inquiétée, préférerait tout de même que le pitre conserve ses distances. Cette présence l'inconvenant, elle faisait en sorte d'être en son contact le moins possible.
«–Ma très chère Abee- pardon… Lady Ackermann rectifia-t-il lorsqu'il sentit peser sur lui le regard noir de la jeune femme.
–Je tiens à vous remercier de votre coopération, le journal et moi même sommes très reconnaissants. lança d'une voix douce l'homme à la queue de pie lorsqu'il entreprit de descendre les marches au côté de l'artiste.
–A ma gauche ! Lâcha l' intéressée d'un ton sec. Elle poursuivit:
–Il ne me semble pas que nous fûmes fiancés je me trompe ? Un homme de votre rang devrait avoir connaissance des règles de vie au sein de cette société, n'est-il pas?
–Il est vrai, Madame qu'en termes de bienséance, il me faudrait suivre votre enseignement. Puis-je en ce cas mentioner vos derniers faits pour le moins… Déplacés? Son ton était léger, sûr de lui et insolent.
–Vous n'êtes pas en position de me répondre cracha froidement la fautive visiblement vexée par le répondant de l'autre.
Il était rare de contredire une femme, surtout de son rang, elle n'était pas habituée à ce traitement discourtois.
–Fort bien, commença le journaliste ouvrant la porte de sa voiture.
–Il va me falloir fausser compagnie je vous remercie de m'avoir honoré de votre présence. Au revoir, j'ai un article à faire paraître. Poursuivit l'homme, son sourire ingrat toujours suspendu à son visage insolent.
Mais, depuis son siège, la Lady ne l'écoutait déjà plus, perdue dans le vide, elle fixait la paroi en face d'elle. La porte claqua alors, elle intima machinalement un ordre sec au cocher qui fit résonner les guides de cuir synthétique rouge sombre en un claquement sourd. A cette demande, l'attelage se mit en marche, tirant la voiture, qui, sautillait sur les pavés de pierre. On pouvait voir au pied du Pavillon des Visionnaires, un homme au parapluie, droit suivant des yeux la créature onirique, qui avait avalé la femme de glace. Les destriers métalliques traversèrent rues et boulevards, croisant bien d'autres véhicules. D'un pas monotone, las, machinal les automates trottaient régulièrement sur la route. Sous leurs sabots abîmés, deux morceaux de caoutchouc qui les empêchaient de déraper sur le sol, mais le bruit provoqué par leur pas lourd n'était pas atténué pour autant.
Abeelyn poussa délicatement un rideau de ses doigts fins, elle pouvait ainsi contempler les diverses scènes qui se jouaient à l'extérieur. Le cœur de la ville bâtie en étoile, on percevait à son centre, d'épaisses fumées sombres s'élevant lentement vers le ciel. Il ne se dissipaient pas dans l'air humide, la pollution l'alimentait en noirceur alors qu'il était déjà chargé par une poussière de cendres. La voyageuse rapporta son regard vers leur création, aux alentours des usines. Ici, dans les rues c'était l'heure de pointe et l'on rentrait chez soi. Ainsi, les ouvriers, se pressaient, sortant des usines colossales et, à pied, ils se dirigeait vers la Souricière. C'était le nom que l'on donnait couramment au quartier délabré de la ville basse. Leurs figures noires, fermées, un DullSteam entre leurs lèvres gercées creusées par le travail, ils fuyaient. Les ouvriers raffolaient de ce tabac populaire. Le premier fabricant avait d'ailleurs fait fortune. Ils étaient composés par une simple tige d'un tabac commun produit en laboratoire. Les scientifiques ajoutaient quelques particules de différents minerais réduits en cendres à leur texture douteuse. On broyait la matière première importés grace aux caravanes de ravitaillement, puis, on y ajoutait ces différentes poudres. Il suffisait alors de mélanger le tout, et de les faire chauffer à très haute température dans des moules en forme de petits bâtonnets. Ils variaient entre huit et dix centimètres. Le simple fait de poser cette tige noire sur la langue et de refermer sur elle ses lèvre faisait se brûler l'intérieur. S'en émanait alors une fumée que l'on aspirait afin d'en ressentir les effets.
Sur les visages clos des travailleurs, on ne lisait aucune autre émotion. Seulement une profonde lassitude. Ils étaient coiffés d'un béret, de faux cuir ou de tissus synthétiques sur lesquels Namida faisait s'abattre ses gouttelettes, pénétrant leur vestons, s'infiltrant dans leurs chaussures délabrées qui couinaient à chacun de leurs pas.
Il fallait se reposer quelque heures, laisser aux travailleurs de nuit leurs postes confinés au sein de la zone industrielle. Les visages graves laissaient place à ceux des enfants, employés par les usines. Une main-d'œuvre peu coûteuse, les lèvres bleues de l'un d'entre eux afficha un sourire étonnamment bienveillant. Sous la pluie noire il jouait avec un morceau de plastique usé qui traînait là, le plus jeune devait avoir six ans. Un rescapé de la Sèche.
C'était ceux-là qu'on allait chercher , les plus jeunes survivants, les plus résistants, pourtant, leur âge, la plupart du temps, n'atteignait pas les vingt-huit ans: les vapeurs toxiques de l'usine les tuaient à petit feu. Les ouvriers étaient ceux qui vieillissaient le plus vite, on surnommait les plus âgés "automates" puisque leur travail était effectué de manière tout à fait machinale, monotone obéissant aux ordres sans poser de questions. Il portait ce nom également par leur aspect physique qui les présentait plus en tant que robot, que véritablement humains. Leurs yeux vitreux ne semblaient plus organiques, leurs poumons expiraient constamment résidus et poussière, leurs lèvres fissurées étaient comblées par des cendres noires.
Cette ville était meurtrière. L'artiste grimaça lorsqu'elle vit au cou de l'enfant un tatouage qui l'avait condamné. Un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale ses mâchoires se serrèrent, un souvenir désagréable. Pour ne plus penser elle alla clore les rideaux, mais se ravisa lorsqu'elle aperçut le pont Zimbaro qui enjambait le fleuve passant au travers de la cité. Son eau était utilisée pour la production qui sortait des usines. Sa force en tous cas , on ne pouvait rien en faire d'autre, les scientifiques avaient essayés, en vain de purifier cette matière afin de la rendre potable. Mais leurs echecs succesifs laissaient à croire que la molécule qui la composait avait été modifiée. Par ailleurs, l'onde qui se précipitait sous ce dernier formait de gros bouillons sales, il n'était pas rare de voir flotter quelques cadavres d'automates, voitures, attelages et parfois même des corps humains. Abeelyn fût prise de nausées qui lui lacéraient le ventre. Elle dut faire de gros efforts afin pour refouler ce sentiment de dégoût profond. Cette fois elle ferma les tissus de velours préférant se concentrer sur les bruits urbains. Les rires enfantins sous le rideau aqueu, le pas régulier de l'attelage cuivré, Namida, son chant triste, sur le toit noir et abimé, sur le fleuve, sur les passants.
Elle devinait les ondulations circulaires de l'eau au contact des gouttelettes s'enfonçant dans l'onde noirâtre. On entendait depuis la voiture le vol lourd des oiseaux. Leurs ailes imprégnées de graisse avaient battaient laborieusement et parfois, les créatures mécaniques émettaient un piaillement à la rencontre d'un autre messager automate. On avait en effet créé de petits oiseaux au ventre creux, destinés à transporter différents courriers. On acheminait alors les lettres par voie aériennes. Les routes étant bien trop occupées par les taxis et véhicules en tous genres tractés par quelques créatures robotisées. Il était possible de payer ce service public en louant un oiseau mais certains préfèraient acheter leurs propres porteurs. Il n'était pas rare de voir l'Ordre réaliser multiples contrôles sur les créatures métalliques. On examinait la classe sociale assignée maître au par le biais de l'automate. Tout comme les pierres témoignant d'un rang particulier, on plaçait dans leurs yeux les minéraux correspondants. Ainsi, les oiseaux aux yeux de saphir ne subissaient jamais d'analyses. Personne n'en avait l'autorisation, la plus haute noblesse était la classe intouchable. Ceux qui subissaient le plus de vérifications étaient les automates aux prunelles ambrées.
Si c'était un service pratique, certains s'en servaient pour la contrebande, d'autrefois les faux-monnayeurs en usaient à certaines fins illégales. Les rumeurs couraient que certains gangs de la ville basse tentaient, par leur intermédiaire d'asseoir leur pouvoir et mener une révolte. Leurs moyens, pourtant limités, condamnaient la plupart à être démasqué et étaient sévèrement punis par la couronne et l'Ordre. La Lady se reporta sur sa respiration calme, régulière, elle sentait son corps épouser le mouvement de la voiture sautillant sur les pavés, elle ressentait dans ses jambes fines les vibrations de cette dernière jusqu'à l'arrêt net de ses roues sur les pierres taillées.
La voix écailleuse du meneur la tira de sa rêverie. Elle ouvrit les yeux lorsque ce dernier indiqua sa destination. Abeelyn passa sa capuche, puis, descendit élégamment de la voiture. Elle se posta à la hauteur du vieil homme le remercia chaleureusement d'un sourire. Le cocher moustachu le lui rendit, la salua à son tour de sa main écorchée par le travail et les années, enfin, d'un claquement de langue remit ses chevaux en marche. L'homme était découvert et l'on voyait au loin petit corps sauter à contretemps, il ne parvenait pas à suivre les mouvements de son attelage. La culpabilité se lût un instant sur le visage de la jeune femme qui contemplait ses mains lisses et douces.
Lentement, elle se tourna pour contempler la façade aux briques ocres de la maisons se présentant à elle. Un escalier de bois vernis menait à un petit porche sombre. Il offrait un petit espace sec tout en protégeant les lourdes portes de la bâtisse. Sur le coin à droite de la demeure et s'élevant sur deux étages, une tourelle translucide très appréciée par la peintre qui passait des heures à observer la rue déserte à son travers. Comme la clareté naturelle était peu présente, Abeelyn avait installé tout un jeu de miroirs, elle était alors l'une des maison les plus lumineuses de la métropole.
Une partie de son toit était en verre, ce qui faisait en son antre, un puit de lumière considérable. La peintre appréciait les miroirs, beaucoup de ses travaux les impliquaient. Par ailleurs, elle les avait disposé dans ses pièces afin qu'à chaque heure de la journée différents rayons colorés fuyaient sur les murs. Son atelier était alors en proie à de superbes nuances, elle en profitait pour réaliser des études de couleurs à différentes heures de la journée, afin de capturer les plus beaux instants sous des angles différents.
Ses pas la menèrent à la porte de sa demeure qui faisait l'angle de rue, juste sous son petit porche. Elle introduisit la clef dans la serrure qui émit un petit bruit lorsqu'elle l'inclina. La porte s'entrouvrit, Abeelyn pénétra alors dans une petite pièce accueillante, puis, referma soigneusement derrière elle, prenant garde à fermer le loquet.
Une fois dans le hall, la jeune femme déposa son chevalet contre le mur brun et se délesta de sa cape qu'elle pendit sur le portemanteau. La Dame était satisfaite d'observer le fait que la pluie ne l'avait pas souillée. Elle y avait soigneusement appliqué un vernis que lui avait proposé un marchand. De première apparence, un homme extrêmement étrange, il s'était finalement révélé être très professionnel et bon conseiller. Elle observa longtemps son antre déserte. Il régnait dans la pièce une atmosphère chaleureuse. Une tendre lumière rougeâtre se diffusait dans la maison. Ses grands yeux gris se posèrent successivement sur chaque recoin du petit salon. La Lady jeta un coup d'œil furtif sur ces derniers travaux qui s'amoncelaient au fond de la pièce. La demeure tout entière respirait l'huile et l'acrylique qui séchaient doucement, cette délicieuse odeur lui emplit les poumons. Elle prit une grande bouffée d'air expira doucement puis sorti du hall pour se placer sur sa droite face à la fenêtre qui donnait sur l'extérieur. Au-dehors, la pluie avait redoublé et s'écrasait violemment contre les carreaux, projetant de minuscules particules noires tout autour de la zone d'impact, l'onde éclatait au contact des tuiles rouges foncées des trois voisins pour s'écouler dans une gouttière et finissait sa course sur le trottoir.
L'artiste contempla longuement les flots sombres qui se glissaient entre les pavés de la petite rue. Le quartier était situé en périphérie, c'était un lieu calme et peu passant. Les logements étaient onéreux puisque prisés de la Haute le calme et la sérénité offerts par le quartier était très apprécié des nobles. Cette maison lui était revenue de droit, un héritage en somme. Son mécène lui avait offert l'immense privilège de posséder une serre adjacente à son habitation. Par ailleurs, c'était la pièce préférée de la peintre. Aussi secrète que dangereuse.
Elle se reposait longuement auprès des plantes qui lui demandaient soin et attention. C'était le seul lieu où elle pouvait apercevoir des végétaux. Il lui avait été très ardu de se procurer plusieurs espèces de plantations rares. Elle avait dû dérober des graines dans les appartements royaux. Le dernier endroit où étaient conservées les ultimes représentations de ces espèces. Elle avait souhaité faire appel aux chefs des caravanes de ravitaillement dans l'espoir de trouver d'autres plans, mais ses appels étaient restés sans réponse. Le contact avec eux avait été impossible à établir. Malgré tout, son amour pour les végétaux leur avait permis de s'épanouir dans l'immense serre de verre. Sa propriété était protégée de grandes palissades et le toit de sa serre dissimulé sous des planches afin que personne ne doute de son secret. Si elle était protégée par la couronne, tout ceci aurait pu lui couter cher et nuire à la réputation de la souveraine. Voilà pourquoi elle prenait garde à ne rien dévoiler de ce lieux enchanteur.
Au sein de la cité, les formes de vies végétales avaient disparu. Il n'était alors que poussière cendres, fumées, pierres et métaux. Abeelyn s'en retourna vers le centre de la pièce; observa sur sa droite sa petite cuisine aux teintes bordeaux. Sur sa gauche deux immense fenêtres aux rideaux d'un rouge sombre qui donnaient à la pièce cet aspect lumineux. Ceux-ci filtraient la lumière dirigée par les miroirs suspendus tout autour. En face d'elle, la porte qui menait à sa serre privée. Elle se trouvait sous les escaliers qui menaient à sa chambre à la salle de bain et à son atelier.
Alors que la jeune femme se dirigeait lentement vers son havre de paix, un son sourd la surprit soudainement. Son corps se figea instentanément. Elle aurait reconnu l'oiseau qui tapait à son carreau entre mille. Frémissante, elle ouvrit gracieusement sa fenêtre et laissa l'oiseau de métal s'introduire gracieusement à l'interieur. Ses yeux de saphir la toisèrent curieusement. La petite créature sautillait sur le rebord en piaillant gaiement. Il déploya ses courtes ailes et vînt se poser dans le creux des mains qui l'accueillirent chalereusement. Cette dernière ferma la fenêtre puis, caressa délicatement le petit crâne blanc, son oiseau ferma les yeux de plaisir. Il plongea ses prunelles profondes dans celles de sa maîtresse et se logea dans le creux de son cou après lui avoir donné sa précieuse cargaison. Abeelyn chérissait cet automate merveilleux, il était un cadeau de son amie, sa reine quand elles étaient encore enfant. Elle l'avait fait faire sur le modèle d'un shima enaga, un minuscule oiseau à l'apparence cotoneuse, fragile et délicate. Les animaux étaient chimères, sinon des légendes, lointains rêves dont ne survivaient que de vagues écrits entre l'illusion et le souvenir manuscrit. Les deux petites filles qui avaient accès à la bibliothèque royale avaient pu accéder à quelques encyclopédies avant qu'il ne soit décidé quels ouvrages devaient être brûlés. La petite l'avait tout de suite adopté. Il fût la seule créature à vivre à ses côtés.
«–Ange, de qui me viens tu ? »
La belle ne parvint pas à masquer son étonnement puisqu'elle se souvenant pas lui avoir demandé d'accomplir quelques tâches. Le petit automate posa sur elle un regard protecteur puis, ferma les yeux, se rapprochant de sa maîtresse plus possible. La peintre sentait les petites pattes de son compagnon se déplacer sur son épaule jusqu'à trouver position confortable. Son message en main, elle alla se poser sur son fauteuil de velours. Le petit mot était fermé d'un cachet de cire qui lui était très familier, ses pupilles se rétractaient immédiatement à sa vue. Elle ouvrit cette minuscule lettre d'aluminium, fine, encore enroulée et découvrit les quelques mots qui y étaient inscrits. Les caractères gravés étaient élégants elle devina que l'on avait écrit à la plume. Lorsqu'elle lut les quelques phrases elle y resta impassible.
« Ce Fou est tombé
Celui-ci doit être libéré »
Abeelyn se leva de son siège, inscrit furtivement un horaire sur un morceau de papier vierge, le confia à son petit oiseau qui connaissait déjà la destination et qui, s'en fût, voletant gracieusement entre les gouttes épaisses et lourdes.
Le chant monotone provoqué par les larges sabots des chevaux mécaniques sur le sol pavé traversait la rue commerçante résonnait dans le quartier riche. De leurs naseaux de cuivre s' échappait une fumée noirâtre à l'odeur nauséabonde. Dans leurs yeux ambrés luisait le feu de leurs engrenages complexe.
Ils marquèrent un arrêt net qui secoua quelque peu les passager de la voiture ainsi que le cocher qui guidait les étranges créatures de cuivre. Le véhicule stationna devant une galerie d'art. Le bâtiment arborait une façade blanc crème qui contrastait avec le paysage gris brun. Son architecture complexe le mettait en valeur et lui donnait presque un air de palais.
On pouvait passer des heures à contempler la simple façade sans pouvoir examiner l'intégralité tant les détails y étaient nombreux. Une coupole en verre trônait sur le haut, à cinquante mètres de hauteur. Sous sa protection, le hall principal. La lumière n'y pénétrait guère malgré ce toit translucide, certains ingénieurs étaient parvenus à recréer une lumière artificielle sur chaque arche à l'intérieure de l'arc de cercle afin de donner l'illusion de clarté.
On devinait de l'extérieur, le dédale que devait être ce monument. Balcons et fenêtres semblaient dévorer les murs. Les arabesques en relief délicates qui les encadraient avec tant de précision appelaient à la rêverie.
Pour parvenir à l'entrée il suffisait de gravir les marches qui menaient aux portes lourdes et brunes présentant les veines ambrées d'un bois luxueux. De part et d'autres s'élevaient, des colonnes taillées dans le marbre blanc, sur les quelles reposaient un porche délicatement sculpté. On n'usait de cet art qu'en de rares occasions car son coût était plus que considérable. Il fallait alors solliciter nombreux architectes et ingénieurs ainsi qu'un nombre incalculable d'ouvriers. Pour ouvrir les travaux de ce genre de bâtiment, il fallait tout d'abord que son but soit public, puis faire passer sa proposition en tant que contremaître à la Oldcast de son quartier. Celle-ci était ou non, accordée par le Lys qui envoyait en personne cette demande à la couronne. Elle était ensuite revue par son administration et, finalement, son acceptation reposait sur la signature de la reine. Cette organisation prenait souvent plusieurs semaine en vue de toutes les réclamation d'espaces par les directeur des usines.
Malgré l'investissement de durée qu'il fallait pour entreprendre ces travaux, le titan de pierre fût érigé en un laps de temps très court. La reine était la mécène protégeant l'artiste la plus reconnue au sein de la la capitale. Afin de l'encourager dans sa production et inviter d'autres peintres et sculpteurs à développer leurs travaux, elle avait fait bâtir cet endroit à une allure effroyable.
Désormais, il accueillait bien des peintres qui exposaient dans chaque pièce, aucune n'était disponible et les listes d'attentes étaient interminables. Pour les futures productions à venir, on envisageait même la création d'un second bâtiment destiné à accuellir plus d'oeuvres.
Au pied des escaliers qui menaient à l'antre gigantesque, la voiture au toit cuivré révéla un intérieur aux teintes rougeâtres sombres et luxueuses. La lumière n'y pénétrait pas, le velours épais des rideaux clos ne laissaient pas aucune place à un simple rayon de lumière.
Visiblement, l'occupant n'appréciait que peu les voyages à découverts, tenant son intinimté et son anonymat, la rue était déserte, la population de la ville haute préférant sans nul doute se rassembler dans les endroits secs. La silhouette sortant de la voiture dévoila le corps capé d'une femme dont le visage était dissimulé par le lourd tissu. Sur son habit de voyage noir aux reflets ambrés, se détachait un pendentif contrastant avec les couleurs chaleureuses. Une pierre bleu profond, un saphir des plus purs semblait reposer sagement sur sa poitrine. La pierre noble témoignait de son rang social élevé, les armoiries d'or fin l'encadrant, on devinait aisément son lien profond à la couronne. La femme descendit, chevalet sous le bras et alla se placer au devant de l'attelage merveilleux. Elle paya le cocher d'une bourse généreuse.
Elle posa ses yeux au fin fond des prunelles orangées des automates qui ne bronchèrent pas. Leurs naseaux dilatés crachaient des nuages de fumée gris sale qui s'élevait paisiblement, avec une légerté sans pareilles. Les fin doigts de la dame se déposèrent délicatement sur le chanfrein de l'animal placé à droite, elle frissonna au contact du métal chaud , mais le corps de cuivre, lui, resta impassible à la caresse attentionnée.
S'il était impossible de percevoir l'expression de l'humaine, on devinait la déception d'une émotion dissimulée comme ce visage sous le textile trop lourd.
Elle opta pour un pas assuré et se dirigea mécaniquement vers l'immense porte du Pavillon des Visionnaires. Si sa démarche révélait sa noblesse et son élégance, il était presque évident qu'elle n'appréciait pas se trouver en ces lieux. Elle gravissait une à une les marches qui se présentaient à son passage, arrivée sous le porche, la silhouette poussa les portes qui grincèrent sous le mouvement. Lorsqu'elle pénétra dans le hall principal et qu'elle laissa sa capuche tomber gracieusement sur ses épaules et se dévêtit de sa cape de voyage révélant à tous son visage digne et fermé,. Les conversations qui emplissaient la pièce un court instant plus tôt s'éteignirent immédiatement, on se tournait vers la femme au visage fin, aux traits durs et délicats. Ses yeux gris aux très légères teintes bleutés, a peine visible tiraient sur l'intérieur de l'iris à une couleur si claire que l'ont eut cru du blanc. Il était le regard des plus perçant et plus froid qu'il était possible de voir en ce monde.
Ses lèvres fines étaient serrées, son expression, figée Elle était indiscutablement une femme magnifique, et représentait à la perfection l'idéal esthétique prôné par la société . Mais une chose sur son visage la rendait terne, lointaine. Les tâches de rousseur qui perlaient ses maigres pommettes s'étiraient comme un masque sous ses yeux, un morceau de ciel, parsemé d'étoiles qui s'étaient réfugiées sous sa peau blanche.
Bien vite, les rumeurs coururent dans la grande salle autour de la principale intéressée, insensible, elle s'en fut d'un pas sûr vers l'aile qui lui était dédiée. En ce jour, la peintre la plus cotée de la ville haute avait été convoquée sur les lieux de son expositions afin que son témoignage paraisse dans le Nedleweek, journal hebdomadaire courant qui relatait les plus importantes informations circulant dans la Haute. Il était le journal le plus apprécié par les classes élevées, qui, demeuraient des gens simples, ne s'informant que de ragots ou, informations principales. D'autres journaux étaient également très appréciés, mais ciblaient un public moins large. Dans la ville basse circulaient d'autres gazettes un peu différentes, rares étaient ceux dont les moyens leurs permettaient ce genre de médias onéreux. Son regard croisa celui d'autres artistes exposants dans des salles voisines, elle ne n'y prêtait aucune attention, ces derniers se turent sur son passage. Elle était considérée comme une mentor selon la Haute, pour chaque artiste et son travail les invitaient tous à produire plus encore, et d'une qualité supérieure. Néanmoins, ceux-ci nourissaient tous un sentiment de mépris profond pour la jeune femme hermétique aux jugements.
Elle ne pouvait donc décliner cette invitation qui pourtant ne lui plaisait guère. On remarquait à son allure sa connaissance parfaite du dédale, ce lieu enchanteur, se faufilant comme une ombre entre les visiteurs admiratifs face aux dernières œuvres Des enchères virtuelles montaient, estimant le prix convenable pour la future vente qui promettait d'être exubérante. Elle parvînt sans encombres à la salle principale de l'exposition, sans avoir posé les yeux sur les murs des couloirs richement ornés.
Les mouvements rapides et réguliers de la pierre bleue sur sa poitrine oscillaient comme un pendule, sur son passage. Il intimait à tous le respect de sa personne.
L'effervescence emplissait la pièce, les conversations allaient de bon train, l'odeur de l'alcool flottait tout autour. Certains visiteurs semblaient par ailleurs, déjà à la limite de l'ivresse.
L'alcool avait une grande place auprès des amateurs d'arts qui assuraient avoir un esprit plus ouvert au sens et au message que transportait le travail, la toile, la sculpture. La peintre en riait doucement. Malheureusement, elle n'était pas en position d'exprimer quoique ce soit à ce propos.
Malgré la densité de la foule, elle parvînt à atteindre le cœur de son exposition où étaient installés une petite table ronde, lisse, au bois verni et deux chaises simples destinée à accueillir les protagonistes qui animeraient le débat potentiel.
Le faux sourire qu'elle avait dessiné sur ses lèvres fines était en désaccord avec son talent incontestable pour la peinture, il était alors fort aisé de deviner son agacement dû à sa présence ici. Lorsqu'elle aperçut le journaliste qui avait été assigné à son interview, elle souffla, exaspérée par avance. Ne cherchant pas à masquer son agacement elle se résolut à se laisser questionner, ainsi, elle se promit intérieurement d'abréger son supplice le plus vite possible.
Comme la peintre l'avait prédit, le journaliste se précipita vers elle, les bras grands ouverts, fidèle à lui même et ses habitudes. L'artiste abhorrait son comportement excentrique et familier qui lui donnaient l'envie irrépressible de le remettre à sa place. Il était couronné d'un élégant haut de forme noir. Celui-ci dissimulait une grande partie de son front lisse. Ses yeux verts pétillants absorbaient tous les regards admiratifs, pleins de rêves et de vivacité. Elle, n'y lisait en fouillant ses pupilles dilatées que de l'intérêt vif pour sa propre personne. S'il Narcisse avait existé, il en était, à l'heure actuelle, la plus conforme incarnation. Sa mâchoire était encadrée par une jeune barbe entretenu avec soin si l'on se fiait à sa taille régulière et parfaite. Son torse arborait fièrement un jabot couronné d'un étincelant saphir. Ce dernier, immaculé, dont les ondulations étaient tout à fait symétriques, contrastait sa queue de pie d'un brun si sombre qui tirait presque sur le noir. Son manteau entrouvert laissait percevoir un chemisier flambant neuf, raffiné d'un blanc crème agréable à contempler.
Il portait en bas, un simple pantalon en toile d'un blanc parfait, qui pour la saison semblait un peu léger. Ses chaussures en cuir, luisantes, transpiraient le luxe. Un simple coup d'œil suffisait à le détester, purement et simplement, sans donner raison apparente à cette haine nourrie pour cet odieux personnage. Par ailleurs l'avis de la jeune femme à son propos était très tranché, sa personnalité simpliste et purement égoïste l'invitait à le mépriser profondément. La simple idée de se retrouver avec lui la rendait nauséeuse. Ce dernier l'aborda d'ailleurs avec toute la fausse courtoisie donc il était capable.
"Ma très chère Abeelyn! clama-t-il tout en lui baisant le dos de la main plongeant ses yeux profonds dans ceux de la dame qui ne chercha pas à éviter les deux émeraudes la fixant avec insistance.
-C'est Ackermann pour vous Sir Wendell. Cracha l'intéressée impassible. Peu impressionné, il redoubla d'hypocrisie sourire et de charme ravageur.
-Bien sûr, bien sur, Lady Ackermann, veuillez je vous prie m'excuser de cette impolitesse à votre égard, vous m'en voyez confus... En prononçant ces mots, les lèvres pâles découvrirent ses dents blanches, étincelantes qui dessinaient un sourire manquant cruellement de sincérité. L'artiste l'avait bien remarqué mais choisit de ne pas s'arrêter à ce genres de détails, préférant mettre au plus vite un terme à cet entretien.
-Qu'importe. C'est oublié. Passons, je vous prie les mondanités, ne nous encombrons pas de ces manières que tout deux jugeons futiles. C'est ridicule. Venez en au fait. Cassa cette dernière quelques peu agacée.
-Que d'impolitesse aujourd'hui je fais preuve! Je fais trépigner d'impatience une femme fort occupée et pressée!"
Sous le regard assassin que lui lança la Dame, le pitre changea son attitude, estimant que ce dialogue ne lui apporterait que les foudres de la jeune femme et cessa son jeu, face à elle, il avait déjà perdu. Et il en avait conscience. Il était idiot. Mais pas stupide. Or, trop titiller cette personnalité en public pouvait lui valoir très cher. Si elle détestait les dictats, les règles de conduite sociétale adoptées par la Haute, elle les avait tant côtoyé qu'elle les connaissait par cœur. Ainsi, pour la peintre, il était fort aisé de mettre un adversaire au tapis afin qu'il se ridiculise devant une assemblée, sans même qu'elle dusse hausser le ton. On la craignait et la respectait pour son talent, sa force, mais aussi pour ce trait de caractère. S'étant forgé une réputation d'acier au fils des ans, on connaissait son pouvoir en tant qu'oratrice de mérite.
"Fort bien! Ainsi, commençons l'interview, soupira l'homme qui se résigna.
Il poursuivit, posant les yeux sur la feuille de notes qu'il sortit de sa poche
-Les questions suivantes porteront donc principalement sur votre parcours, votre expérience... Il marqua une hésitation, et reprit avec lassitude
- ... Vos impressions, bla, bla bla... Il accompagnait ses dires de gestes de la main pour souligner son ennui profond.
-Et, pour finir, nous espérons qu'enfin vous daignerez nous révéler vos principales sources d'inspirations, ainsi que le lien que vous entretenez avec la couronne!
L'intéressée grimaça à cette phrase et se tendit quelque peu, ayant deviné sa dernière requête. Pendant ce temps, l'assemblée était pendue aux lèvres du journaliste qui allait annoncer la dernière demande qu'il allait adresser à l'artiste.
-Bien entendu, l'ultime question concerne ce que nous tous attendons depuis bien des mois! Nous savons tous qu'il est très étonnant qu'à votre âge... Je serai bref! Quelle est donc la personne de la haute qui vous fait frémir? Tant de secrets à lever! Je piaffe d'impatience!
Outrée, Abeelyn cracha avec véhémence
-S'il est vrai qu'il est très mal vu de paraître en société en tant que femme seule, j'en assume également les lourdes conséquences. Ma vie privée ne vous concerne en aucun cas. Je vous prierais alors de cesser vos intrusions intempestive dans les domaines qui ne vous regardent pas. Je ne suis pas un simple sujet à vos rumeurs indécentes!"
Son exclamation abattit les conversations qui, depuis les dernières phrases de Sir Wallen faisaient rage dans la salle d'exposition. L'assemblée, alerte et silencieuse, emplie de curiosité se tourna vers les deux protagonistes.
Dans ses pupilles rétractées luisaient les foudres assassines qui déchirèrent les prunelles vertes de l'impertinent qui fût déstabilisé un court instant, ne sachant que répondre, profondément choqué par la violence d'une réaction qu'il n'avait pas même osé imaginer.
La salle d'exposition était figée. Suspendus aux murs blancs crème, les tableaux colorés tremblaient. Ils étaient tous alignés de manière régulière, leurs cadres fins les mettaient en valeur, leurs teintes claires et vives contrastaient avec le support, ce qui invitait le spectateur à se plonger dans l'œuvre. Tout était si lisse que l'on devinait à peine les coups de pinceaux qui ne laissaient paraître aucune hésitation. Le geste était précis, net, il se rapprochait sans conteste de la perfection.
Si le silence était un lieu, on aurait aisément pu le représenter par un désert humain. Plus une expiration. Les aiguilles étaient figées, l'instant en suspens. Plus rien ne semblait porter un souffle de vie.
Seule la poitrine de la jeune femme se soulevait et s'abaissait de manière régulière sous sa respiration saccadée. Sur son visage crispé, on lisait clairement la haine qui grandissait en elle pour ce personnage. Le silence pesant fût brisé par une phrase emplie de reproche en direction du journaliste.
"De plus, adresser cette requête à une Dame, qui de surcroit est de rang plus élevé que le votre, prouve à tous que vous êtes bien un odieux personnage. Poursuivit Lady Ackermann sûr ton plus maîtrisé et plein de défi.
L'homme répondit à cette provocation à nouveau un long silence, qui opposa les deux jeunes gens et leurs avis contraires.
Bien vite, il capitula, comprenant que de cette manière, il n'arriverait à rien.
-J'aurais essayé, souffla ce dernier, levant les mains, en signe d'abandon, un sourire résigné sur ses lèvres lisses.
La tensions redescendit sur les spectateurs, qui, déçus, reprirent leurs occupations, ces dernières se résumant à de futiles dialogues, creux, sourds et hypocrites.
-Posez moi donc vos questions, que l'on en finisse, lâchât-elle fatiguée.
-Rien de croustillant pour nos lecteurs... Qu'importe j'imagine que c'est ainsi. Il avait longuement soufflé en prononçant sa phrase come pour tenter de culpabiliser celle qui se moquait éperdument de ses états d'âme. Il poursuivit.
-Bien, l'article paraîtra après demain, et sera à la Une de notre journal, vous aurez du succès! Alors! Heureuse?
-Sachez Monsieur que je n'ai cure de votre torchon relatant les pires rumeurs de la ville haute, si j'y figure c'est par pur obligation sociale. De plus, j'ai conscience que la moitié de mes paroles seront déformées ou sectionnées afin de rendre tout cela le plus intéressant possible. Iparler des mon travail est très déplaisant. Si l'on veut le lire, le comprendre, il suffit de s'y plonger et non pas le regarder videment, en s'intéressant simplement à sa valeur.
-Je me dois de vous interrompre, pardonnez moi, mais... Pour tout vous dire, il me semble plus pertinent de vous laisser parler comme vous l'entendez plutôt que vous guider sur des questions inintéressantes à vos yeux. Nous vous écouterons, et alors j'écrirai ce qui me semble le plus perinent dans mon article. Ainsi n'est-il pas plus beau de ne parler que de ce qui vous anime? Ce serait bien plus riche, moins fade."
Son ton état doux, simple, et sur ses lèvres, apparaissait un bienveillant sourire.
Jamais dans ses gestes et attitudes il n'avait paru si sincère, sur son visage se lisait un air sincèrement bouleversé, quoique à déchiffrer. Il désigna à la Dame sur une estrade, un siège lui étant destiné ,en face de sa propre chaise. A leurs cotés, une table en bois, relativement basse, sur laquelle étaient posés une bouteille de verre contenant une eau plate accompagnée par deux grands verres en cristal fin.
A ces mots la Lady se radoucit quelque peu, puis, se consolant, elle dédiabolisa l'entretient, prit place sur son siège imitée par le journaliste qui s'assit en face d'elle. Cette dernière balaya rapidement la foule, inspira profondément, et enfin, commença.
L'interview avait duré une bonne heure durant laquelle l'auditoire était resté passionné, pendu aux lèvres de la jeune femme. Si le journaliste semblait perdu, égaré par la voix délicate de celle qu'il interrogeait, il avait inscrit avec la plus grande attention les paroles de son interlocutrice qui avait prit son mal en patience. On pouvait deviner aisément que cette interview lui déplaisait encore, mais sentant la fin approcher, elle s'était détendue tant bien que mal. Lorsque Sir Octave Wallen enclencha une nouvelle fois l'interrupteur du petit enregistreur cuivré, son grésillement léger cessa. Lady Ackermann se ferma immédiatement. La plume dans la main du jeune homme termina sa course gracieuse déposant un point net sur le feuillet métallisé du carnet de cuir qu' Octave Wallen tenait en sa main gantée. Cela marqua également la fin de l'entrevue entre les deux célébrités de la Haute.
La peintre estimant que son travail était terminé, se leva sans un mot, salua de la tête l'étrange personnage, qui, le lui rendit. Il plaça sa main gauche sur son haut de forme, le faisant basculer légèrement vers l'avant, ce qui dissimulait la quasi totalité de son visage, laissant visible, seul son petit sourire narquois.
La Dame descendit l'estrade arborant un air certes sévère mais plus détendu, soulagée par la fin de l'évènement. Les visiteurs, accrochés à ses lèvres avaient bu une à une ses paroles et restaient pourtant sur leur faim. Les mains se levèrent par dizaine pour l'interroger, peu perturbée Abyleen se dirigeait, chevalet sous le bras vers la sortie de l'exposition, talonnée par Octave Wallen. Milles murmures, paroles emplies de frustrations fusaient à travers la grande salle . L'interview avait soulevé bien plus d'interrogations que proposé quelques réponses auprès des auditeurs passionnés. Ayant au préalable prévu ce genre de réactions, la peintre à la chevelure brune tirant vers l'ébène sur laquelle fuyaient des reflets de feu, poursuivit son chemin sans se soucier de ceux qui se pressaient sur son passage.
Elle avait traversé le Pavillon des Visionnaires sans encombre, la densité de la foule ne lui ayant pas posé plus de difficultés qu'à son arrivée. Elle avait parcouru les salles de manière mécanique. Abeelyn savait qu'elle pouvait faire mille fois le trajet même aveuglée. Sur son chemin s'étaient succédées les toiles et les sculptures, tantôt paysages urbains, ou superbes sujets aux teintes rouges et ambres. Si certaines oeuvres se confondaient dans les espaces épurés, d'autres se détachaient du mur blanc par leur taille gigantesque ou les sentiments qui émanaient d'elles. A chaque pas, un nouveau monde. Les spectateurs, étaient colons émerveillés. Seulement, ces terres restaient intouchables, irréelles, bien loin , hors de portée de l'Homme destructeur, vil et égoïste. Les artistes eux mêmes n'étaient que les objets d'une force plus grande, simples instruments, esclaves de la création. Ils étaient incapables de toucher leurs œuvres, toucher leur cœur. La plupart se contentait alors de leur position, les autres n'en avaient pas conscience. Abeelyn avait bien d'autres desseins. Elle poussa enfin les lourdes porte et se trouva au dehors de ce monde odieux.
De sa poche près de son cœur, elle saisit sa montre à gousset qu'une chaînette retenait et la consulta. Lady Ackermann parut satisfaite, un sourire se dessina sur son visage d'une pâleur rare. L'horaire qu'elle s'était imposé état correct, tout rentrait dans les temps, elle s'était même fixé une marge afin qu'un imprévu ne la retarde pas. Tout avait été calibré au détail près, tout avait été étudié et pensé, non par obligation, simplement par habitude. C'était une obsession chez elle. Le temps. C'est pourquoi dans son atelier, dans sa galerie, on trouvait bien souvent des travaux, dessins, croquis ou études pour une réalisation ultérieure de vanités. Avec les paysages merveilleux, c'était ce qu'elle peignait le plus et malgré ses heures à rectifier le moindre détail sur ses toiles. Jamais elle n'était satisfaite de quoi que ce soit et tendait à la perfection sans pouvoir l'atteindre ou même l'effleurer. Aussi rigoureuse envers les autres que pour elle même, sa séverité n'avait d'égal que son talent. La perfection. Rien d'autre n'avait d'intérêt à ses yeux. Atteindre la chose la plus belle, la plus parfaite qui soit. Toujours. Voilà pourquoi elle portait tant d'intérêt à la ponctualité.
Abeelyn sentit qu'une nouvelle fois, elle avait vu juste avec sa marge de temps, devinant l'imprévu arriver à grand pas. Cette dernière ne chercha pas à l'éviter sachant pertinemment que ce qui devait se passer se passerait quoi qu'il en soit. Elle s'appliqua alors à l'attendre plutôt qu'à le fuir. Après tout, elle avait le temps
La Lady se tenait droite, à l'extérieur sous le porche.
On entendait la mélodie triste et sourde des gouttes d'eau qui retentissait sur le sol. Les gouttelettes sales glissaient sur la façade immaculée du fier bâtiment laissant sur leur passage une trainée noirâtre qui témoignait parfaitement du chemin qu'elles avaient emprunté. La trace résultait d'un mélange boueux entre la cendre, l'eau, la poussière et résidus encore non identifiés à ce jour. Il était incontestablement le fruit d'expériences douteuses dans les usines rejetant d'étranges déchets. Bientôt le gouvernement mettrait en place une protection provisoire des bâtiments officiels afin de les préserver de la saison humide et sale. Les dégâts étaient trop considérables chaque années pour omettre de vernir les monuments. Avant de se couvrir son visage à nouveau sous son capuchon, la dame jeta un regard vers le ciel noir. Il était tapissé d'épais nuages, menaçant, planants sur la ville. Leur aspect nébuleux aux nombreuses ondulations cotonneuses dessinaient sur le plafond noir une toile merveilleuse malgré leur apparence repoussante.
Ils obstruaient alors l'azur depuis toujours et leur omniprésence pesait sur chaque habitant de la métropole, quoique beaucoup les eurent occulté par simple habitude. Un quotidien terne et redondant était la cause de cet aveuglement. Beaucoup ne remarquaient plus les délicates nuances charbons et grises dont les nuages s'étaient parés.
Ils étaient les seuls coupables de la pluie acide qui, sans relâche s'abattait sur les toits fatigués des résidences sombres et humides. En effet l'eau avait traversé ce mur vertical et inlassablement, en mille gouttelettes, s'était écrasée sur le sol de la cité éclatant sur les toits. Imprégnant les corniches, les passants, diffusant de toutes parts, leur senteur nauséabonde qui stagnait dans les ruelles inondées par les cendres. Si le nom donné à cette étrange pluie était plutôt agréable à l'oreille, le paysage ne l'appréciait guère. Namida n'avait de beauté que l'appellation, car lorsqu'elle s'en venait, elle rafraichissait peu à peu les sols et l'atmosphère, abattant lentement la lourde chaleur imposée par la Sèche. Malheureusement, il était fort désagréable de sentir sur sa peau, glisser les poussières et déchets qui imprégnaient les corps et les habits.
C'était une période que beaucoup haïssaient, il n'y avait au-dehors, plus une âme qui vive en cette triste saison. Certains pourtant y ont trouvé leur compte. Les gérants, les directeurs d'usine. La Haute en somme.
Il avait été décrété une fois Namida de retour, que la pollution de la production qui engendrée par les bâtiments n'aggraverait point la situation. De plus certains affirmaient que l'humidité préservait des maladies alors que la chaleur les attisait, par conséquent, si la pluie était désagréable, elle n'était pas dangereuse pour le corps et la santé. Si certains médecins affirmaient le contraire, les puissants avaient trouvé le moyen de les bâillonner afin de maintenir leur emprise et assoir leur pouvoir économique.
La ville alors ne connaissait aucune saison propice. Les habitants subissaient Namida, puis, la Sèche qui, était une véritable infamie; le ciel obstrué, la population étouffait sous la chaleur qui stagnait et imprégnait les bâtiments. C'était à cette période assasine que le taux de mortalité était le plus élevé. Les premières victimes étaient les nourrissons, déjà fragilisés. La pollution, la chaleur écrasante, les achevaient aisément. Les secondes victimes étaient, bien entendu, la population de la ville basse, bien plus en proie aux températures torrides. Leurs habitations étaient en effet bien moins préservées de la chaleur étouffantee qui s'écrasait lourdement .
Cependant le pic de mortalité se trouvait aux trois dernières semaines de la chaleur. C'était peu avant l'arrivée du déluge, ainsi l'humidité prenait place, se faisait plus pesante par cette température accablante. Il était très difficile de circuler, l'activité de la métropole s'en ressentait fortement. C'était à cette époque de l'année que l'on puisait dans les réserves faites durant le long cycle de Namida. La cité était très régulièrement approvisionnée par des caravanes provenant de l'extérieur. Les échanges se faisaient entre produits industriels et nourriture que l'on convertissait en gélules nutritives. Quand à l'eau sous forme liquide, réservée aux privilégiés de la Haute on la stockait afin de ne pas avoir à filtrer Namida. Cette eau était le résultat de forages profonds sous la surface terrestre. Les réserves s'épuisaient, et il avait fallu chercher un substitut de la molécule afin de créer des pilules synthétiques pour les bourgeois, les travailleurs, les habitants de la basse. Des réservoirs étaient soit-disant installés bien au dessus des nuages par des équipes météo généralement formées par l'élite de la population. La monarque était également incapable de certifier la justesse de ces réserves aériennes. Les aéronautes avaient le privilège d'observer depuis leurs dirigeables un paysage merveilleux. On disait qu'il était fait de ces pierres les plus prisées et précieuses dont les nobles ornaient leurs habits onéreux pour prouver à tous leur classe sociale. Sa couleur resplendissent était changeante selon eux et là haut, les nuages n'étaient que pureté. Abeelyn avait toujours rêvé de d'avoir accès à ces lieux. Malheureusement, l'autorisation ne lui avait jamais été accordé et elle vivait en silence cette déception sous le plafond noir. Dévoré par les nuages, il était impossible de deviner sa prétendue présence. Ceux qui certifiaient de son existance n'avaient pu porter quelques preuves à quiconque. Or, l'humain est imparfait, par extension, un menteur. Seulement, l'artiste aimait rêver.
Le ciel. C'est ce qu'elle avait lu dans les livres anciens. Elle appelait ce plafond le ciel. Mais les tours de la villes semblaient infinies. Y avait-il alors autre chose? On pouvait seulement observer les tours englouties par la fumée des usines depuis le bas, depuis les trottoirs. Que des tours. Les vapeurs qui s'échappaient de celles-ci, les conduits électriques, les lourds tuyaux étaient les seuls éléments visibles depuis le sol. Une fumée noire, une brume malodorante. Des immeubles. Des géants dont on ne voyait pas la fin.
On devinait au loin le plafond noir grâce aux épaisses colonnes de charbon, de suie, de cendres qui s'élevaient, s'agglutinant aux autres.
On disait que si cette situations perdurait, le plafond descendrait jusqu' aux habitants, les tuants, dans leur propre brouillard.
Mais Abeelyn l'avait toujours appelé "ciel". Cela adoucissait ce concept. Celui de la condamnation. Inévitable. Ciel. C'était un joli nom pour un assassin.
Ceux de la météo disaient que de là haut, on voyait les convois arriver, les matières premières qui servaient à concevoir les pilules nutritives. Tout le domaine agricole était situé bien au loin, en marge de la cité, si on en croyait les rumeurs. On ne recensait alors que bien peu de villages la cartographie de l'État était assez peu précise et il n'était pas rare que la couronne fasse appel à des explorateurs afin de mettre à jour frontières et villages avoisinants. La capitale était également la seule ville reconnue. Enfin, c'est ce que l'on disait. Abeelyn doutait de ces informations, jamais elle n'avait vu un seul convoi. La reine elle-même avait confié à la peintre n'en avoir jamais vu, quand aux villages, elle doutait, elle aussi, de leur existence. Les explorateurs revenaient sans information la plupart du temps, quand ils ne mourraient pas d'asphyxie dans la jungle d'usines désaffectée qui s'étendait sur des kilomètres autour de la cité noire.
On narrait que l'extérieur était dangereux, les conditions y étaient précaires, il fallait y être né pour s'acquitter des tâches paysannes et pour y vivre, selon les éclaireurs. Abeelyn les avait longtemps soupçonés de mensonges, mais s'était résignée, elle ne pouvait pas opposer son opignon à leurs dires. Le passage des caravanes diminuait de moitié la saison sèche, les cultures étaient moins riches. Sur ces trois dernières semaines il était impossible pour elle de circuler au-dehors de leurs frontières. Ainsi les banquiers faisaient de gros achats durant les plus afin de faire sur ses produits rares un bénéfice plus considérable sur le dos de ceux qui avaient été trop peu prévoyants. C'était chose aisée pour eux, en effet, ils disposaient d'un droit prioritaire et exclsif sur le marché (des parts ahetées à prix d'or), ainsi, ces matières premières leur revenaient. La revente concernant ces aliments était dirigée vers les créateurs de pilules. Ces trafics s'effectuaient dans l'ombre, nul ne voyait jamais une miette de cette fameuse "nourriture". Alors, bien souvent, ceux de la ville basse qui avait survécu aux chaleurs, succombaient à la famine. Leurs provisions de pilules étaient vite épuisées. Il y avait, pour les saisons les plus arides, se déroulant une fois toutes les décennies, un cycle aride durant sur une année. C'est pourquoi, la monarque précédente, au début de son règne, lasse de voir les températures décimer ses sujets, avait fait bâtir tout un réseau souterrain accessible uniquement en cette année. C'était un refuge utilisé sur la période complète. Il fallait alors chaque année, pour se préserver, créer des réserves nutritives considérables dans ce but.
Il demeurait pourtant encore certaines habitations à la surface, encore occupées lors de la Sèche. Ces dernières appartenaient aux classes les plus pauvres qui comptaient pour la plupart parmi elles et domestiques au service de la Haute, les familles ouvrières ainsi que les Hypnophages la Souricières et autres quartiers malfamés . Ceux-ci étaient pour la plupart condamnés à une existence banale triste une vie difficile et dans le besoin. Les possibilités d'évolution étaient, sinon impossible, rarement réalisable. La place de ces familles était généralement dans les bas-fonds, à creuser des galeries réservées aux plus riches, une tâche extrêmement ingrate, dangereuse et peu rémunérée. Malheureusement en cette année sèche, elle était la seule source de revenus pour ceux de la ville basse. En échange des risques encourus, on leur offrait assez de comprimés bleus pour rassasier leur famille sur quatre semaines. Les plus chanceux résidaient dans les maisons des plus aisés en tant que domestiques ou serviteurs et remontaient à la surface pour nourrir leurs familles. La plupart des habitants de la surface travaillaient en équipe et se relayaient pour limiter les déplacements trop couteux en énergie. Ainsi les classes les plus nobles séjournaient dans les sous-sols bien protégés de la chaleur, des intempéries et leur source hydrolique était bien plus abondante. Les couloirs souterrains étaient larges et les murs épais insonorisaient parfaitement les habitations creusées à même la roche légèrement humide. Plus l'on s'enfonçait dans les profondeurs, plus la luminosité baissait, en guise de torches, était placées dans les murs des pierres incandescente qui ne réclamaient pas d'oxygène pour illuminer les galeries. Au plus profond sous la terre demeurait la souveraine.
Abeelyn se surprit à penser à la dernière année qu'elle avait vécu enfermée, sa condition sociale lui avait permis de vivre au plus bas, en sécurité aux côtés de la couronne. Bien évidemment tous n'avaient pas eu cette chance. Sa rêverie avait duré une seconde. Le temps qu'apparaisse à ses côtés l'odieux journaliste qui, se plaça sa hauteur. A sa vue, la peintre soupira lourdement et bien qu'il fût très impoli de mettre fin à une conversation de manière silencieuse, La Lady ne s'en préoccupa nullement et entreprit de rejoindre sa voiture qui l'attendait sagement sur la chaussée déserte. Là, sans interruption, s'écrasaient une infinité de perles noires, desquelles s'échappait une légère fumée. De surcroît, elle bascula sa capuche sur son visage, ce qui, était très inconvenant en la présence d'un autre individu. Loin de se décourager Sir Octave Wendell ouvrit son parapluie sobre et proposa à la dame, protection. Si Abeelyn le haïssaient profondément, elle n'était pas assez discourtoise pour refuser ses avances une troisième fois et, se résigna, laissant de ses lèvres fines s'échapper un long soupir sifflant entre ses dents serrées.
Son visage ne se décrispa pas lorsqu'elle daigna se découvrir pour prendre place sous le parapluie noir que lui proposait le Lord. Celui-ci arborait un sourire radieux, respirant la victoire, ce qui, agaça profondément la Dame. Au cours des années s'était fait la réputation d'un homme qui aimait les femmes. Qui les désirait surtout. Les collectionnant, épinglant leurs cœurs au sentiments désintéressés. Il avait pris pour habitude de mettre un terme à une relation au second mois de fréquentation, à une date précise. Il avait charmé la quasi-totalité des célibataires de la Haute, sélectionnant au premier abord les plus jeunes et les plus fortunées. Il était évident que le Sire était plus animé par les coups de poker qu'à l'alliance. Abeelyn était consciente du fait qu'elle était la prochaine sur sa longue liste. En effet, elle était une femme prisée et son habitude à repousser systématiquement les avances de chaque prétendant, avait attiré la convoitise de Sir Wendell. Celui-ci s'était promis souhaitait plus que tout, l'ajouter à son tableau de chasse. Il importait bien peu à l'homme le ressenti de ces femmes brisées puisque lui-même semblait dépourvu de sentiments. L'artiste si elle n'était pas intéressée, ou inquiétée, préférerait tout de même que le pitre conserve ses distances. Cette présence l'inconvenant, elle faisait en sorte d'être en son contact le moins possible.
«–Ma très chère Abee- pardon… Lady Ackermann rectifia-t-il lorsqu'il sentit peser sur lui le regard noir de la jeune femme.
–Je tiens à vous remercier de votre coopération, le journal et moi même sommes très reconnaissants. lança d'une voix douce l'homme à la queue de pie lorsqu'il entreprit de descendre les marches au côté de l'artiste.
–A ma gauche ! Lâcha l' intéressée d'un ton sec. Elle poursuivit:
–Il ne me semble pas que nous fûmes fiancés je me trompe ? Un homme de votre rang devrait avoir connaissance des règles de vie au sein de cette société, n'est-il pas?
–Il est vrai, Madame qu'en termes de bienséance, il me faudrait suivre votre enseignement. Puis-je en ce cas mentioner vos derniers faits pour le moins… Déplacés? Son ton était léger, sûr de lui et insolent.
–Vous n'êtes pas en position de me répondre cracha froidement la fautive visiblement vexée par le répondant de l'autre.
Il était rare de contredire une femme, surtout de son rang, elle n'était pas habituée à ce traitement discourtois.
–Fort bien, commença le journaliste ouvrant la porte de sa voiture.
–Il va me falloir fausser compagnie je vous remercie de m'avoir honoré de votre présence. Au revoir, j'ai un article à faire paraître. Poursuivit l'homme, son sourire ingrat toujours suspendu à son visage insolent.
Mais, depuis son siège, la Lady ne l'écoutait déjà plus, perdue dans le vide, elle fixait la paroi en face d'elle. La porte claqua alors, elle intima machinalement un ordre sec au cocher qui fit résonner les guides de cuir synthétique rouge sombre en un claquement sourd. A cette demande, l'attelage se mit en marche, tirant la voiture, qui, sautillait sur les pavés de pierre. On pouvait voir au pied du Pavillon des Visionnaires, un homme au parapluie, droit suivant des yeux la créature onirique, qui avait avalé la femme de glace. Les destriers métalliques traversèrent rues et boulevards, croisant bien d'autres véhicules. D'un pas monotone, las, machinal les automates trottaient régulièrement sur la route. Sous leurs sabots abîmés, deux morceaux de caoutchouc qui les empêchaient de déraper sur le sol, mais le bruit provoqué par leur pas lourd n'était pas atténué pour autant.
Abeelyn poussa délicatement un rideau de ses doigts fins, elle pouvait ainsi contempler les diverses scènes qui se jouaient à l'extérieur. Le cœur de la ville bâtie en étoile, on percevait à son centre, d'épaisses fumées sombres s'élevant lentement vers le ciel. Il ne se dissipaient pas dans l'air humide, la pollution l'alimentait en noirceur alors qu'il était déjà chargé par une poussière de cendres. La voyageuse rapporta son regard vers leur création, aux alentours des usines. Ici, dans les rues c'était l'heure de pointe et l'on rentrait chez soi. Ainsi, les ouvriers, se pressaient, sortant des usines colossales et, à pied, ils se dirigeait vers la Souricière. C'était le nom que l'on donnait couramment au quartier délabré de la ville basse. Leurs figures noires, fermées, un DullSteam entre leurs lèvres gercées creusées par le travail, ils fuyaient. Les ouvriers raffolaient de ce tabac populaire. Le premier fabricant avait d'ailleurs fait fortune. Ils étaient composés par une simple tige d'un tabac commun produit en laboratoire. Les scientifiques ajoutaient quelques particules de différents minerais réduits en cendres à leur texture douteuse. On broyait la matière première importés grace aux caravanes de ravitaillement, puis, on y ajoutait ces différentes poudres. Il suffisait alors de mélanger le tout, et de les faire chauffer à très haute température dans des moules en forme de petits bâtonnets. Ils variaient entre huit et dix centimètres. Le simple fait de poser cette tige noire sur la langue et de refermer sur elle ses lèvre faisait se brûler l'intérieur. S'en émanait alors une fumée que l'on aspirait afin d'en ressentir les effets.
Sur les visages clos des travailleurs, on ne lisait aucune autre émotion. Seulement une profonde lassitude. Ils étaient coiffés d'un béret, de faux cuir ou de tissus synthétiques sur lesquels Namida faisait s'abattre ses gouttelettes, pénétrant leur vestons, s'infiltrant dans leurs chaussures délabrées qui couinaient à chacun de leurs pas.
Il fallait se reposer quelque heures, laisser aux travailleurs de nuit leurs postes confinés au sein de la zone industrielle. Les visages graves laissaient place à ceux des enfants, employés par les usines. Une main-d'œuvre peu coûteuse, les lèvres bleues de l'un d'entre eux afficha un sourire étonnamment bienveillant. Sous la pluie noire il jouait avec un morceau de plastique usé qui traînait là, le plus jeune devait avoir six ans. Un rescapé de la Sèche.
C'était ceux-là qu'on allait chercher , les plus jeunes survivants, les plus résistants, pourtant, leur âge, la plupart du temps, n'atteignait pas les vingt-huit ans: les vapeurs toxiques de l'usine les tuaient à petit feu. Les ouvriers étaient ceux qui vieillissaient le plus vite, on surnommait les plus âgés "automates" puisque leur travail était effectué de manière tout à fait machinale, monotone obéissant aux ordres sans poser de questions. Il portait ce nom également par leur aspect physique qui les présentait plus en tant que robot, que véritablement humains. Leurs yeux vitreux ne semblaient plus organiques, leurs poumons expiraient constamment résidus et poussière, leurs lèvres fissurées étaient comblées par des cendres noires.
Cette ville était meurtrière. L'artiste grimaça lorsqu'elle vit au cou de l'enfant un tatouage qui l'avait condamné. Un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale ses mâchoires se serrèrent, un souvenir désagréable. Pour ne plus penser elle alla clore les rideaux, mais se ravisa lorsqu'elle aperçut le pont Zimbaro qui enjambait le fleuve passant au travers de la cité. Son eau était utilisée pour la production qui sortait des usines. Sa force en tous cas , on ne pouvait rien en faire d'autre, les scientifiques avaient essayés, en vain de purifier cette matière afin de la rendre potable. Mais leurs echecs succesifs laissaient à croire que la molécule qui la composait avait été modifiée. Par ailleurs, l'onde qui se précipitait sous ce dernier formait de gros bouillons sales, il n'était pas rare de voir flotter quelques cadavres d'automates, voitures, attelages et parfois même des corps humains. Abeelyn fût prise de nausées qui lui lacéraient le ventre. Elle dut faire de gros efforts afin pour refouler ce sentiment de dégoût profond. Cette fois elle ferma les tissus de velours préférant se concentrer sur les bruits urbains. Les rires enfantins sous le rideau aqueu, le pas régulier de l'attelage cuivré, Namida, son chant triste, sur le toit noir et abimé, sur le fleuve, sur les passants.
Elle devinait les ondulations circulaires de l'eau au contact des gouttelettes s'enfonçant dans l'onde noirâtre. On entendait depuis la voiture le vol lourd des oiseaux. Leurs ailes imprégnées de graisse avaient battaient laborieusement et parfois, les créatures mécaniques émettaient un piaillement à la rencontre d'un autre messager automate. On avait en effet créé de petits oiseaux au ventre creux, destinés à transporter différents courriers. On acheminait alors les lettres par voie aériennes. Les routes étant bien trop occupées par les taxis et véhicules en tous genres tractés par quelques créatures robotisées. Il était possible de payer ce service public en louant un oiseau mais certains préfèraient acheter leurs propres porteurs. Il n'était pas rare de voir l'Ordre réaliser multiples contrôles sur les créatures métalliques. On examinait la classe sociale assignée maître au par le biais de l'automate. Tout comme les pierres témoignant d'un rang particulier, on plaçait dans leurs yeux les minéraux correspondants. Ainsi, les oiseaux aux yeux de saphir ne subissaient jamais d'analyses. Personne n'en avait l'autorisation, la plus haute noblesse était la classe intouchable. Ceux qui subissaient le plus de vérifications étaient les automates aux prunelles ambrées.
Si c'était un service pratique, certains s'en servaient pour la contrebande, d'autrefois les faux-monnayeurs en usaient à certaines fins illégales. Les rumeurs couraient que certains gangs de la ville basse tentaient, par leur intermédiaire d'asseoir leur pouvoir et mener une révolte. Leurs moyens, pourtant limités, condamnaient la plupart à être démasqué et étaient sévèrement punis par la couronne et l'Ordre. La Lady se reporta sur sa respiration calme, régulière, elle sentait son corps épouser le mouvement de la voiture sautillant sur les pavés, elle ressentait dans ses jambes fines les vibrations de cette dernière jusqu'à l'arrêt net de ses roues sur les pierres taillées.
La voix écailleuse du meneur la tira de sa rêverie. Elle ouvrit les yeux lorsque ce dernier indiqua sa destination. Abeelyn passa sa capuche, puis, descendit élégamment de la voiture. Elle se posta à la hauteur du vieil homme le remercia chaleureusement d'un sourire. Le cocher moustachu le lui rendit, la salua à son tour de sa main écorchée par le travail et les années, enfin, d'un claquement de langue remit ses chevaux en marche. L'homme était découvert et l'on voyait au loin petit corps sauter à contretemps, il ne parvenait pas à suivre les mouvements de son attelage. La culpabilité se lût un instant sur le visage de la jeune femme qui contemplait ses mains lisses et douces.
Lentement, elle se tourna pour contempler la façade aux briques ocres de la maisons se présentant à elle. Un escalier de bois vernis menait à un petit porche sombre. Il offrait un petit espace sec tout en protégeant les lourdes portes de la bâtisse. Sur le coin à droite de la demeure et s'élevant sur deux étages, une tourelle translucide très appréciée par la peintre qui passait des heures à observer la rue déserte à son travers. Comme la clareté naturelle était peu présente, Abeelyn avait installé tout un jeu de miroirs, elle était alors l'une des maison les plus lumineuses de la métropole.
Une partie de son toit était en verre, ce qui faisait en son antre, un puit de lumière considérable. La peintre appréciait les miroirs, beaucoup de ses travaux les impliquaient. Par ailleurs, elle les avait disposé dans ses pièces afin qu'à chaque heure de la journée différents rayons colorés fuyaient sur les murs. Son atelier était alors en proie à de superbes nuances, elle en profitait pour réaliser des études de couleurs à différentes heures de la journée, afin de capturer les plus beaux instants sous des angles différents.
Ses pas la menèrent à la porte de sa demeure qui faisait l'angle de rue, juste sous son petit porche. Elle introduisit la clef dans la serrure qui émit un petit bruit lorsqu'elle l'inclina. La porte s'entrouvrit, Abeelyn pénétra alors dans une petite pièce accueillante, puis, referma soigneusement derrière elle, prenant garde à fermer le loquet.
Une fois dans le hall, la jeune femme déposa son chevalet contre le mur brun et se délesta de sa cape qu'elle pendit sur le portemanteau. La Dame était satisfaite d'observer le fait que la pluie ne l'avait pas souillée. Elle y avait soigneusement appliqué un vernis que lui avait proposé un marchand. De première apparence, un homme extrêmement étrange, il s'était finalement révélé être très professionnel et bon conseiller. Elle observa longtemps son antre déserte. Il régnait dans la pièce une atmosphère chaleureuse. Une tendre lumière rougeâtre se diffusait dans la maison. Ses grands yeux gris se posèrent successivement sur chaque recoin du petit salon. La Lady jeta un coup d'œil furtif sur ces derniers travaux qui s'amoncelaient au fond de la pièce. La demeure tout entière respirait l'huile et l'acrylique qui séchaient doucement, cette délicieuse odeur lui emplit les poumons. Elle prit une grande bouffée d'air expira doucement puis sorti du hall pour se placer sur sa droite face à la fenêtre qui donnait sur l'extérieur. Au-dehors, la pluie avait redoublé et s'écrasait violemment contre les carreaux, projetant de minuscules particules noires tout autour de la zone d'impact, l'onde éclatait au contact des tuiles rouges foncées des trois voisins pour s'écouler dans une gouttière et finissait sa course sur le trottoir.
L'artiste contempla longuement les flots sombres qui se glissaient entre les pavés de la petite rue. Le quartier était situé en périphérie, c'était un lieu calme et peu passant. Les logements étaient onéreux puisque prisés de la Haute le calme et la sérénité offerts par le quartier était très apprécié des nobles. Cette maison lui était revenue de droit, un héritage en somme. Son mécène lui avait offert l'immense privilège de posséder une serre adjacente à son habitation. Par ailleurs, c'était la pièce préférée de la peintre. Aussi secrète que dangereuse.
Elle se reposait longuement auprès des plantes qui lui demandaient soin et attention. C'était le seul lieu où elle pouvait apercevoir des végétaux. Il lui avait été très ardu de se procurer plusieurs espèces de plantations rares. Elle avait dû dérober des graines dans les appartements royaux. Le dernier endroit où étaient conservées les ultimes représentations de ces espèces. Elle avait souhaité faire appel aux chefs des caravanes de ravitaillement dans l'espoir de trouver d'autres plans, mais ses appels étaient restés sans réponse. Le contact avec eux avait été impossible à établir. Malgré tout, son amour pour les végétaux leur avait permis de s'épanouir dans l'immense serre de verre. Sa propriété était protégée de grandes palissades et le toit de sa serre dissimulé sous des planches afin que personne ne doute de son secret. Si elle était protégée par la couronne, tout ceci aurait pu lui couter cher et nuire à la réputation de la souveraine. Voilà pourquoi elle prenait garde à ne rien dévoiler de ce lieux enchanteur.
Au sein de la cité, les formes de vies végétales avaient disparu. Il n'était alors que poussière cendres, fumées, pierres et métaux. Abeelyn s'en retourna vers le centre de la pièce; observa sur sa droite sa petite cuisine aux teintes bordeaux. Sur sa gauche deux immense fenêtres aux rideaux d'un rouge sombre qui donnaient à la pièce cet aspect lumineux. Ceux-ci filtraient la lumière dirigée par les miroirs suspendus tout autour. En face d'elle, la porte qui menait à sa serre privée. Elle se trouvait sous les escaliers qui menaient à sa chambre à la salle de bain et à son atelier.
Alors que la jeune femme se dirigeait lentement vers son havre de paix, un son sourd la surprit soudainement. Son corps se figea instentanément. Elle aurait reconnu l'oiseau qui tapait à son carreau entre mille. Frémissante, elle ouvrit gracieusement sa fenêtre et laissa l'oiseau de métal s'introduire gracieusement à l'interieur. Ses yeux de saphir la toisèrent curieusement. La petite créature sautillait sur le rebord en piaillant gaiement. Il déploya ses courtes ailes et vînt se poser dans le creux des mains qui l'accueillirent chalereusement. Cette dernière ferma la fenêtre puis, caressa délicatement le petit crâne blanc, son oiseau ferma les yeux de plaisir. Il plongea ses prunelles profondes dans celles de sa maîtresse et se logea dans le creux de son cou après lui avoir donné sa précieuse cargaison. Abeelyn chérissait cet automate merveilleux, il était un cadeau de son amie, sa reine quand elles étaient encore enfant. Elle l'avait fait faire sur le modèle d'un shima enaga, un minuscule oiseau à l'apparence cotoneuse, fragile et délicate. Les animaux étaient chimères, sinon des légendes, lointains rêves dont ne survivaient que de vagues écrits entre l'illusion et le souvenir manuscrit. Les deux petites filles qui avaient accès à la bibliothèque royale avaient pu accéder à quelques encyclopédies avant qu'il ne soit décidé quels ouvrages devaient être brûlés. La petite l'avait tout de suite adopté. Il fût la seule créature à vivre à ses côtés.
«–Ange, de qui me viens tu ? »
La belle ne parvint pas à masquer son étonnement puisqu'elle se souvenant pas lui avoir demandé d'accomplir quelques tâches. Le petit automate posa sur elle un regard protecteur puis, ferma les yeux, se rapprochant de sa maîtresse plus possible. La peintre sentait les petites pattes de son compagnon se déplacer sur son épaule jusqu'à trouver position confortable. Son message en main, elle alla se poser sur son fauteuil de velours. Le petit mot était fermé d'un cachet de cire qui lui était très familier, ses pupilles se rétractaient immédiatement à sa vue. Elle ouvrit cette minuscule lettre d'aluminium, fine, encore enroulée et découvrit les quelques mots qui y étaient inscrits. Les caractères gravés étaient élégants elle devina que l'on avait écrit à la plume. Lorsqu'elle lut les quelques phrases elle y resta impassible.
« Ce Fou est tombé
Celui-ci doit être libéré »
Abeelyn se leva de son siège, inscrit furtivement un horaire sur un morceau de papier vierge, le confia à son petit oiseau qui connaissait déjà la destination et qui, s'en fût, voletant gracieusement entre les gouttes épaisses et lourdes.