La porte s'ouvrit avec un grincement presque inaudible. L'homme se faufila prestement à l'intérieur de la pièce, non parce qu'il n'était pas le bienvenu mais parce que la discrétion était comme une seconde nature chez lui. Il referma la porte derrière lui, s'autorisa une courte pause pour souffler, épuisé par sa longue ascension de la tour, et examina les alentours, comme toujours subjugué par l'aura mystique que dégageait l'endroit.
Il se trouvait dans une grande pièce circulaire, aux murs blancs décorés de runes dorées. Des étagères aux formes étranges épousaient la forme des murs. Elles débordaient de livres, manuscrits, vieux grimoires, parchemins roulés, plumes et pots d'encre en tous genres. À quelques mètres de là, un bureau en bois clair supportait toutes sortes de bibelots : une boîte à musique richement ornée, toute une collection de minéraux multicolores, de petits statuettes représentant d'antiques dieux et déesses, un poignard dans son fourreau ainsi que quelques feuilles de parchemin en désordre. Sur son perchoir ornementé, un phénix lança à l'homme un regard méfiant et poussa un cri mélodieux avant de s'envoler pour se percher sur l'épaule de la Dame.
Celle-ci se tenait devant une grande fenêtre en ogive, la seule de la pièce. Sa haute silhouette se découpait à contre-jour sur le ciel brillant des mille feux du soleil couchant. Elle était vêtue, comme souvent, d'une ample robe de magicienne bleue et or, une tiare d'argent ceignant son front altier.
Toujours aussi belle et fière, apparemment.
- Ah, Tehes, tu es là, fit-elle sans se retourner. Je t'attendais.
- Dame Lumina, répondit le dénommé Tehes en s'inclinant profondément. Je suis ravi de vous revoir. Comment vous portez-vous ?
- Bien, merci. Delya, en revanche…
Sa voix se brisa et elle se tut brusquement. Delya, l'un de ses deux enfants, était son coeur, toute sa vie, ce qu'elle chérissait le plus en ce bas-monde depuis que son mari était mort en lui laissant la lourde responsabilité de diriger le royaume et que son autre fille était partie étudier dans un lieu lointain.
Que la fillette soit malade devait la plonger dans un état d'inquiétude inimaginable.
Tehes prit le temps de réfléchir. La Dame avait l'air déjà bien assez préoccupée comme ça ; devait-il le lui dire ? Le lui révéler ? Cela ne risquait-il pas de la décourager davantage ? Ou bien fallait-il la prévenir ? Il fixa pensivement les longues plumes flamboyantes du phénix, qui reposaient sur l'épaule de la femme.
- Votre Altesse… commença-t-il d'une voix lente et mesurée.
Le cri d'avertissement poussé par le phénix l'interrompit. Ces oiseaux-là étaient connus pour leur capacité extraordinaire à repérer le danger, même de loin.
Le temps leur était compté.
Il ouvrit la bouche pour parler.
Le toit explosa brusquement, en mille morceaux tranchants qui vinrent s'écraser sur le sol poli. Lumina avait invoqué un bouclier d'un bleu translucide qui les protégeait, son serviteur et elle. Des hommes masqués sautèrent dans la pièce ; instinctivement, Tehes comprit qu'ils étaient venus pour lui. Il fit une dernière tentative pour parler, sachant très bien qu'il ne servait à rien de résister et que ces hommes étaient des tueurs entrainés :
- La prophétie ! Et les… hurla-t-il tandis que ses ravisseurs incantaient à toute vitesse.
Et tous les quatre - les trois agresseurs ainsi que Tehes - disparurent dans un éclair de lumière noire.
Le hurlement de rage de Lumina fit trembler les murs du château.