~ Dans un lagon de Gaïara, à la frontière avec Elonia, une belle Neptulys veillait avec soin sur ses trois précieux œufs. Il était rare qu’elle les laisse seuls, préférant les surveiller à longueur de journée. C’était la fin de l’été, et les déluges créaient des remous, des torrents d’eau surpuissants, qui faisaient peur à la jeune mère : et si un courant emportait un des œufs, sans qu’elle ne soit là pour l’empêcher ?
Pourtant, le malheur arriva, malgré sa présence…
Un soir de tempête, l’œuf le plus proche du rebord tanguait doucement. La mère dormait, et les mouvements discrets de l’œuf n’étaient pas assez puissants ou bruyants pour attirer son attention. Néanmoins, ces minis-déplacements finirent par tirer l’œuf hors de la protection du rocher contre lequel le nid avait été construit…
Les courants tumultueux le happèrent, au loin, à une vitesse vertigineuse, sans que rien ne vienne interrompre sa course. Dès la première nuit, l’œuf parcouru de nombreux kilomètres, le séparant définitivement de sa famille.
Son voyage dura encore de nombreux jours, à un rythme plus calme tandis que les eaux perdaient en puissance. Lors d’un après-midi ensoleillé, l’œuf finit finalement par se prendre dans une large branche tombée dans l’eau. Les branchages interrompirent brusquement sa balade, terminant ainsi sa course marine, tandis qu’un autre périple commençait.
Les vagues qui venaient s’écraser sur la branche submergée délogèrent l’œuf, le propulsant avec légèreté sur la terre ferme. L’étendue d’herbe sèche sur laquelle il rebondit était devenue glissante à cause du lit de feuilles tombées au sol, et, la surface légèrement en pente du terrain entraîna le petit œuf sans défense dans une nouvelle balade non-désirée. Il roula, rencontra quelques crevasses qui ne réussirent pas à freiner sa course, et finit par percuter une saillie rocheuse qui ressortait à peine de la terre ferme. Juste assez arrondie pour ne pas le blesser, elle ne réussit pas non plus à interrompre sa descente, qui l’éloignait chaque fois plus de son territoire marin natal. À la place, l’œuf rebondit sur ce petit caillou et se retrouva, pour la deuxième fois dans sa vie, propulsé dans les airs. La gravité le rappela bientôt et il se mit à chuter en prenant, à chaque seconde qui passait, un peu plus de vitesse…
Peut-être les divinités furent-elles prises de pitié pour cet œuf innocent ? Quoiqu’il en soit, il s’avéra qu’il chutait dans la direction exacte d’un lit de moryas, des magnifiques et énormes fleurs rougeâtres. Sa chance fût au comble puisqu’il tomba très exactement au centre de l’une des plantes, dont la corolle de pétales hautes l’empêcha de tomber.
L’œuf était enfin en sécurité.
La saison passa, et l’hiver s’installa, recouvrant le monde de Gothicat de son voile glacial. Les moryas, comme à leur habitude en sentant les premiers courants froids arriver, refermèrent leur sépale et l’œuf se retrouva emprisonné dans un lieu sombre, chaud et moelleux à souhait. Un environnement rassurant qui faisait beaucoup de bien à la petite créature à l’intérieur, après toutes ses mésaventures.
Lorsque les premiers rayons printaniers chauffèrent le monde alentour, la vie sembla reprendre : les oiseaux pépiaient joyeusement, les créatures déambulaient, les arbres feuillissaient et fleurissaient. Et les moryas, recommencèrent elles-aussi à s’ouvrir. Elles avaient une particularité peu commune, celle d’ouvrir leur corolle en forme de tube, dirigé vers le ciel, avant de cracher un puissant jet de pollen. L’œuf se fit éjecter dans le même mouvement, heureusement sans trop de force, et retomba mollement sur la terre ferme. Il roula légèrement plus loin, au milieu d’une clairière d’herbe verdoyante.
Quelques curieux qui se baladaient s’intéressèrent à cet œuf, avec une vague de tristesse : ils pensaient aux parents attristés et ils pleuraient ce petit être qui n’avait certainement pas survécu à l’hiver, sans se douter qu’il avait passé la saison froide bien à l’abri. Ils le récupérèrent avec précaution et lui rendirent un hommage émouvant en le nichant au milieu d’un lit de petites fleurs dorées.
Des jours passèrent, tandis que le monde se renouvelait comme à chaque printemps, et les rayons chauds du soleil dardaient sur l’œuf à longueur de journée. Dérangé par la chaleur, le Neptulys à l’intérieur de sa coquille commença à s’agiter. Il picora du bout de son museau reptilien la coque, finit par la perforer, continuant jusqu’à pouvoir sortir, et s’extirpa enfin de son abri. Il se laissa choir dans le lit de fleurs aussi jaunes que lui, et, rassuré, commença à mastiquer quelques plantes pour se nourrir. Inconsciemment, il avait assimilé ces fleurs de la même teinte que lui à sa mère, alors, il se roula en boule contre l’une d’elle et s’endormit, paisible et rassasié.
Très vite, une première créature le remarqua : c’était un oiseau aux couleurs de feu, qui se posa sur une branche et commença à piailler très fort pour attirer l’attention de ces camarades. Un cercle de créatures ne tarda pas à se former autour du Neptulys endormi. Ils étaient émerveillés de voir ce petit être en vie, qui avait éclos comme une fleur au printemps. Ils décidèrent donc de nommer cette petite femelle ☆ Haru no Hana ☆ : Fleur du Printemps.
Chacun retourna vaquer, mais ils se relayaient à tour de rôle pour surveiller la petite orpheline. Ils n’avaient pas le cœur de la laisser seule, et chacun voulait donner de sa personne. Même les fleurs, les feuilles, les moindres brins d’herbe semblaient se joindre à l’affection collective pour cette petite créature aux écailles aussi brillantes que le soleil.
La Neptulys finit par se réveiller : elle n’était pas dans son habitat naturel, pourtant cela ne semblait pas la déranger. Bien au contraire, elle s’aventurait du bout de ses petites nageoires d’algues sur le terrain d’herbes hautes, joueuse. Elle était émerveillée par toutes les couleurs qu’elle voyait, les formes qu’elle distinguait, les bruits qu’elle percevait. Elle faisait à peine attention aux créatures qui la suivaient doucement, pour s’assurer qu’elle allait bien tandis que ses pas la ramenaient vers le lit de moryas. Elle piailla joyeusement en apercevant les fleurs, reconnaissant grâce à son instinct le lieu protecteur qui lui avait tenu chaud pendant l’hiver. L’oiseau aux couleurs de feu attrapa délicatement la Neptulys entre ses pattes et la déposa au cœur d’une des fleurs nouvellement éclose, où elle s’agita avec effervescence. Le volatile pépia doucement et la jeune créature l’observa avec intérêt. Puis, avec hésitation, elle répéta un gazouillis étonnamment similaire à celui de l’oiseau, comme pour apprendre.
Quelques jours passèrent : les créatures de la forêt s’occupaient de cette petite Neptulys curieuse et étrange. Elle semblait avoir renié sa nature marine : elle était une fille de la nature dont les racines prenaient vie au creux de la terre, vivant en parfaite harmonie avec la faune et la flore. Elle dormait au milieu des fleurs, se nourrissait d’elles, bondissait tel un Lipicus après les papillons, grattait l’écorce des arbres tel les Ürsëals pour en boire quelques gouttes de sève, cabriolait de branches en branches tel un Stoufix agile. Elle s’était développée telle une créature des forêts, tirant profit des bénéfices de chaque race qu’elle avait croisé, apprenant de chacune d’elles.
Elle était aussi voluptueuse qu’une fleur et, en observant la manière dont les plantes ouvraient et refermaient leurs pétales, elle avait appris à manipuler les écailles et les algues sur son corps pour se protéger du soleil, du vent et des températures froides.
Elle avait, en quelques jours d’existence, développé ce côté plante que la plupart des Neptulys possédait sans jamais réellement s’en rendre compte.
Elle était d’une beauté et d’une intelligence sidérantes, parfaitement à l’aise dans cet environnement si spécial et loin de ses origines.
Peut-être était-ce ce comportement si particulier qui incita la grande Neptulys jaune cachée entre les feuillages à rester dissimulée ? La jeune mère n’avait pas cessé de chercher son œuf perdu, déterminée à ramener sa progéniture auprès de sa famille, Elle avait fini, miraculeusement, par trouver ce petit coin de paradis où sa fille s’épanouissait, pourtant, maintenant qu’elle était là, observant sa fille voguer entre les plantes comme elle nagerait entre les algues, entourée et chouchoutée par des dizaines d’animaux, elle n’était plus si sûre d’elle. Dans ses entrailles se jouaient un combat de sentiments : la tristesse de repartir seule et la satisfaction, peut-être même la fierté, de voir l’avenir si particulier qui se profilait pour ☆ Haru no Hana ☆.
Elle resta longtemps derrière les branchages, la larme à l’œil, et finalement l’oiseau de feu dont sa fille était si proche la remarqua. Il vint se poser sur une des algues nageoires de la jeune mère et fredonna doucement : elle n’avait pas besoin de comprendre pour saisir le message. Ils s’occuperaient d’elle, comme leur propre fille, si elle décidait de la laisser s’épanouir comme une fleur sauvage en pleine nature.
Alors, avec un hochement de museau de remerciement, elle reprit sa route, retournant auprès de ces autres enfants, soulagée : elle était une mère attentionnée, rien ne pourrait lui enlever ce sentiment, et elle savait qu’elle faisait le bon choix.
Bien des années plus tard, la preuve était là, palpable : ☆ Haru no Hana ☆ dansait au milieu de la nature et de ses couleurs verdoyantes, ne faisant qu’un avec cette entité si mystérieuse et extraordinaire, toujours accompagnée d’une belle fleur jaune, que l’oiseau de feu se faisait un devoir de cueillir à chaque printemps, en mémoire du sacrifice d’une mère. ~
Si je comprends bien tu souhaites que j’axe sur la rencontre entre les deux créatures ? ^^
) !