Disclaimer : Cet Univers, ses personnages, ses lieux et ses concepts m'appartiennent. ©All Rights Reserved.
Résumé : Gloria, co-fondatrice de l'univers, est ce que l'on appelle une Vilnes, une espèce purement magique comptant trop peu de membres pour former une nation, les forçant à vivre dans l'ombre. Un jour, la disparition du seul compagnon de Gloria la plonge dans la solitude et la pousse à utiliser un ancien artefact pour, enfin, se dévoiler au grand jour.
Couverture :
Spoiler: show
== Prologue ==
Spoiler: show
En surplomb de la ville nouvellement construite, animée d’activités diverses, Gloria observait. La lapine en avait fait une habitude, depuis quelques millions d’années. En plein territoire phéri, c’était à flanc de montagne qu’elle s’était installée. Une magie puissante de dissimulation lui avait permis de rester cachée durant tout ce temps. Malgré cela, l’intérieur de son abri était aménagé de façon spartiate, mais le luxe et le confort n’avait jamais réellement intéressé Gloria.
Elle restait rarement sur place, préférant remplir le rôle que l’Entité lui avait confié, après les avoir créé, elle, son espèce ainsi que les Phéris. La co-fondatrice de cet Univers était chargée de la régulation et de la stabilisation des flux atmosphériques de mana, éléments primordiaux à la vie, via la synthèse d’esper. Depuis le départ de l’Entité, Gloria avait plus de travail que jamais.
Quittant le village des yeux, la lapine prit la voie des airs, aidée du vent qu’elle commandait aisément. Au Sud, au-dessus de la forêt de Thur-Wen, un nœud manique s’était formé. Peu communs, ces phénomènes surchargeaient l’atmosphère en esper, toxique à haute dose. Gloria remarqua rapidement que Ryytonsa, son fils, était déjà sur les lieux. Machinalement, il dénouait distraitement le nœud, le regard fixé sur les plantes flétries, qui coloraient de brun un cercle d’une centaine de mètres de diamètre. Soudainement agacée par cette vue, la lapine fit disparaître le phénomène d’un mouvement vif de sa patte. L’autre leva la tête pour rencontrer les yeux bleu glacial de sa mère.
Très grand, mais également très maigre, le corps de Ryytonsa était crevé de blessures jamais cicatrisées, d’où s’échappait en brume légère le Pelana dont étaient composée son espèce, les Vilnes. Grâce à ce constituant purement manique, ils pouvaient maitriser aisément la magie, contrairement aux Phéris. Son visage était lui aussi défiguré par une balafre béante, de sa tempe droite à sa joue gauche. Toutefois, rien de tout cela ne l’handicapait dans sa vie ou dans son travail, grâce à son grand contrôle de son Pelana, empêchant celui-ci de fuir plus que nécessaire.
- Tu sais, je pouvais m’en occupe seul, annonça-t-il pour briser ce silence pesant, un sourire en coin. Ça fait au moins cinq millions d’années que je défais des nœuds, je n’ai plus besoin d’un chaperon !
- Tu étais trop lent, sombre abruti ! Si je t’avais laissé faire, à ce rythme, la moitié de cette forêt serait morte avant que tu ne finisses !
Renfrogné, Ryytonsa ne répondit rien, réalisant un peu tard son erreur, sans toutefois l’admettre. Gloria fulminait : son fils était un indécrottable paresseux. Or, il ne pouvait se permettre ce tempérament de fainéant avec le rôle qu’il devait assumer. Malheureusement, il n’apprenait jamais. La lapine parvint tant bien que mal à calmer la colère qui déformait sa voix, avant que son enfant ne reprenne la parole d’un ton hésitant.
- … Tu sais où est Darken ?
Gloria soupira à l’entente du nom de son compagnon, et détourna le regard, une pointe de tristesse dans la voix.
- Non… Mais tu sais comment est ton père. Tu le reverras certainement dans quelques années. Ça passera vite.
Encore une fois, Ryytonsa ne répondit pas. Jetant un dernier coup d’œil à la végétation morte, il partit avec le vent vers l’Est, où il vivait, caché lui aussi, avec Omeria, sa compagne. La lapine observa elle aussi la forêt amputée, espérant que les plantes repoussent avant qu’un Phéri ne découvre cette nouvelle clairière. Vivre dans l’ombre était épuisant, mais ces êtres faibles, dépourvus de magie, ne pouvaient apprendre l’existence des Vilnes. La connaissance de leur puissance, alors qu’ils étaient si peu nombreux, n’amènerait que chaos et désordre. Ses yeux luisants regardèrent vers l’Ouest, où vivaient Panalap, reclus sur son île, et Marie, dernière représentante de la glorieuse Maison Thyssier. Les deux seuls autres Vilnes.
La solitude pesant sur ses épaules, Gloria s’en retourna vers sa grotte, et vers ces heures d’observation teintées d’envie et d’amertume.
Elle restait rarement sur place, préférant remplir le rôle que l’Entité lui avait confié, après les avoir créé, elle, son espèce ainsi que les Phéris. La co-fondatrice de cet Univers était chargée de la régulation et de la stabilisation des flux atmosphériques de mana, éléments primordiaux à la vie, via la synthèse d’esper. Depuis le départ de l’Entité, Gloria avait plus de travail que jamais.
Quittant le village des yeux, la lapine prit la voie des airs, aidée du vent qu’elle commandait aisément. Au Sud, au-dessus de la forêt de Thur-Wen, un nœud manique s’était formé. Peu communs, ces phénomènes surchargeaient l’atmosphère en esper, toxique à haute dose. Gloria remarqua rapidement que Ryytonsa, son fils, était déjà sur les lieux. Machinalement, il dénouait distraitement le nœud, le regard fixé sur les plantes flétries, qui coloraient de brun un cercle d’une centaine de mètres de diamètre. Soudainement agacée par cette vue, la lapine fit disparaître le phénomène d’un mouvement vif de sa patte. L’autre leva la tête pour rencontrer les yeux bleu glacial de sa mère.
Très grand, mais également très maigre, le corps de Ryytonsa était crevé de blessures jamais cicatrisées, d’où s’échappait en brume légère le Pelana dont étaient composée son espèce, les Vilnes. Grâce à ce constituant purement manique, ils pouvaient maitriser aisément la magie, contrairement aux Phéris. Son visage était lui aussi défiguré par une balafre béante, de sa tempe droite à sa joue gauche. Toutefois, rien de tout cela ne l’handicapait dans sa vie ou dans son travail, grâce à son grand contrôle de son Pelana, empêchant celui-ci de fuir plus que nécessaire.
- Tu sais, je pouvais m’en occupe seul, annonça-t-il pour briser ce silence pesant, un sourire en coin. Ça fait au moins cinq millions d’années que je défais des nœuds, je n’ai plus besoin d’un chaperon !
- Tu étais trop lent, sombre abruti ! Si je t’avais laissé faire, à ce rythme, la moitié de cette forêt serait morte avant que tu ne finisses !
Renfrogné, Ryytonsa ne répondit rien, réalisant un peu tard son erreur, sans toutefois l’admettre. Gloria fulminait : son fils était un indécrottable paresseux. Or, il ne pouvait se permettre ce tempérament de fainéant avec le rôle qu’il devait assumer. Malheureusement, il n’apprenait jamais. La lapine parvint tant bien que mal à calmer la colère qui déformait sa voix, avant que son enfant ne reprenne la parole d’un ton hésitant.
- … Tu sais où est Darken ?
Gloria soupira à l’entente du nom de son compagnon, et détourna le regard, une pointe de tristesse dans la voix.
- Non… Mais tu sais comment est ton père. Tu le reverras certainement dans quelques années. Ça passera vite.
Encore une fois, Ryytonsa ne répondit pas. Jetant un dernier coup d’œil à la végétation morte, il partit avec le vent vers l’Est, où il vivait, caché lui aussi, avec Omeria, sa compagne. La lapine observa elle aussi la forêt amputée, espérant que les plantes repoussent avant qu’un Phéri ne découvre cette nouvelle clairière. Vivre dans l’ombre était épuisant, mais ces êtres faibles, dépourvus de magie, ne pouvaient apprendre l’existence des Vilnes. La connaissance de leur puissance, alors qu’ils étaient si peu nombreux, n’amènerait que chaos et désordre. Ses yeux luisants regardèrent vers l’Ouest, où vivaient Panalap, reclus sur son île, et Marie, dernière représentante de la glorieuse Maison Thyssier. Les deux seuls autres Vilnes.
La solitude pesant sur ses épaules, Gloria s’en retourna vers sa grotte, et vers ces heures d’observation teintées d’envie et d’amertume.
== Chapitre 1 ==
Spoiler: show
La paroi de pierre trembla sur toute sa hauteur sous l’assaut du poing de Gloria. Cent ans avaient passé. La petite ville s’était bien étendue, sans toutefois coloniser le mont rocailleux choisi comme cachette par la lapine. Et Darken n’était pas revenu.
Celui-ci avait l’habitude de vagabonder hors de cette planète, pour des périodes allant de quelques mois à une dizaine d’années. Mais jamais un siècle entier. Gloria prit sa tête entre ses pattes, assaillie par une violente migraine : cet être était le seul auquel elle tenait. Créé par l’Entité en même temps qu’elle, Darken avait été son partenaire de toujours, bien qu’issu d’une espèce différente : il était un Metachas. Un assistant de l’Entité, à forme d’immense requin à peau métallique. Bien plus puissant que la jeune Vilnes inexpérimentée qu’elle était à l’époque, il avait aidé à donner forme à cet Univers, avant que la lapine ne prenne la relève afin de soulager son compagnon.
Il l’avait soutenu, il était resté à son côté quand l’Entité avait abandonné la planète et ses Vilnes, ne laissant derrière lui qu’un étrange socle de granit.
Désormais, lui aussi n’était plus là. Lui aussi l’avait abandonné dans un monde qui ne lui appartenait pas. Un monde qui n’appartenait pas aux trop peu nombreux Vilnes.
Si seulement, pensa-t-elle en sortant de son abri, si seulement elle avait un peuple. Si seulement les Vilnes pouvaient représenter une véritable nation. Si seulement elle pouvait créer cette nation.
A l’extérieur, l’air était brumeux, froid et humide. La lapine ne pouvait même pas apercevoir la ville phérie à travers l’épais brouillard. L’observation rendue impossible, Gloria choisit de se promener dans le bois qui envahissait une partie de sa montagne. Le silence était total, l’atmosphère presque féérique, mais cela ne fit qu’alourdir la solitude qui pesait sur ses épaules.
Son regard se dirigea vers le ciel invisible, quand un bruit attira son attention. Sans un moment d’hésitation, des gerbes de mana jaillirent de ses paumes, immobilisant l’intrus en quelques instants. Cependant, un grognement familier d’inconfort lui fit annuler la magie d’entrave.
- Aaah, Gloria… Un jour, peut-être tu arrêteras d’agresser physiquement quiconque t’approche à moins de cent mètres.
Ryytonsa ne l’avait jamais une seule fois appelé « mère », ou « maman ». Leur relation n’était rien d’autre qu’une cohabitation entre collègues de travail, et la lapine s’en satisfaisait. Elle n’était pas un parent, et n’aimait pas son fils. Il n’avait jamais été voulu, et ce dernier en était bien conscient. Ses cicatrices et ses blessures transpirantes de pelana le lui rappelaient tous les jours.
- Ta compagnie n’est pas utile. Pars, va plutôt t’occuper de la Source, les flux sont faibles aujourd’hui.
Le ton sec de Gloria était sans appel. Le seul qu’elle accepterait à ses côtés en ce moment était Darken. Lui pourrait l’aider à éclaircir son esprit, à savoir quoi faire. Mais il était parti. Il était parti. Il était parti. Il était parti.
- Ahem. Ryytonsa s’éclaircit la gorge, déstabilisé par l’attitude inhabituelle de sa mère, qui était bien trop silencieuse. Panalap te demande, c’était la raison de ma venue en fait. Il aurait enfin achevé ses recherches.
Une lueur d’intérêt apparut dans les yeux de la lapine. Une parfaite occasion de fuir cet endroit, ses problèmes, d’occuper son esprit.
- C’est à propos du Socle d’Orebos ? demanda-t-elle, curieuse.
- A ton avis ? Il n’a fait qu’étudier ce machin depuis au moins plusieurs millions d’années, réfléchis un peu.
Ce Vilnes ne perdait jamais une occasion de montrer tout le mépris qu’il entretenait à l’égard de sa génitrice. Mais cette dernière ne releva pas, plongée une fois de plus dans ses pensées.
Depuis le départ de l’Entité, il y avait de cela cinquante millions d’années, Panalap avait travaillé sans relâche sur ce qu’était ce socle, laissé lui aussi derrière sur cette planète.
- … Gloria ? Ryytonsa agita sa patte devant le regard vide de sa mère, interloqué. Hé, la vieille, t’as définitivement pété un fusible ? HIIIII !
Un cri aigu lui échappa quand la lapine bondit dans les airs, frôlant dangereusement son museau jaune. Alors qu’elle disparaissait dans la brume, en direction de l’Ouest, le Vilnes s’adossa à un arbre, une patte posée sur son front.
- Et c’est censé être la co-fondatrice de l’Univers… Omeria, nous sommes mal barrés.
Une dragonne au long corps serpentin sortit des sous-bois. Ses écailles couleur d’améthyste contrastaient avec ses crins bleu azur et ses serres d’ivoire. Ses yeux entièrement noirs semblaient emplis de sagesse, de douceur, mais aussi de dureté. Sa voix grave et rauque s’éleva dans la forêt silencieuse.
- Je sais à quoi tu penses. Elle l’aurait découvert à un moment ou à un autre. Ne la sous-estime pas.
- Mais imagine ce qu’elle risque de faire avec de tels pouvoirs ! Elle a perdu l’Entité, et maintenant Darken… Elle n’a pas le recul nécessaire.
- Quel mal y a-t-il à suivre ses émotions ? La voix d’Omeria se fit étrangement douce. Nous ne pouvons pas nous cacher éternellement, mais notre petit nombre nous empêche de nous montrer. Je ne vois pas d’autre solution.
- … Je sais bien.
- Sa manière d’arriver à cette conclusion n’est peut-être pas la meilleure, mais le résultat sera le même. De grands changements arrivent, et j’espère que les Phéris sauront y faire face.
Le paysage défilait à toute vitesse sous Gloria, alors que les vents la conduisaient vers l’île où Panalap vivait seul. Un étrange sentiment l’envahit, comme si la découverte de son camarade allait changer sa vie. Dans tous les cas, c’était forcément important, sinon il ne l’aurait jamais fait demander.
Du sable gris s’envola de tous côtés quand la lapine atterrit sur la plage. L’îlot était petit, et au premier abord inintéressant, voire peu accueillant. Le sol était rocailleux et recouvert d’une végétation noirâtre qui cachait au voyageur imprudent les failles et crevasses mortelles. Une grotte béante, à l’entrée inondée, donnait sur la mer, non loin de Gloria. C’est de là que sortit Panalap, marchant délicatement sur la surface de l’eau.
Le lynx possédait une magnifique fourrure crème ponctuée de noir, rendue épaisse par le climat océanique de son habitat. Ses yeux, autrefois couleur ardoise, s’étaient éclaircis pour prendre une teinte bleue. Un monocle, relié d’une chaîne d’argent à son oreille et à sa lèvre, encadrait son œil gauche. A la vue de la Vilnes, un sourire carnassier mais néanmoins amical déforma son visage. Ses muscles puissants se tendirent, et il la rejoint d’un bond.
- Gloria ! Enfin te voilà ! Pour une fois, Ryytonsa a fait ce qu’on lui a demandé.
La lapine soupira, sans répondre, à la mention du nom de son fils. Il n’appréciait que peu Panalap, trop énergique et excentrique à son goût. Puis, soudain, son attention fut attirée par une forme qui se mouvait derrière Panalap. Le lynx se retourna brièvement, tout sourire, avant de s’adresser à nouveau à Gloria.
- Moi qui voulais garder la surprise !
En un dixième de seconde, l’attitude du Vilnes devint menaçante, et une aura de danger l’engloba. Son feulement glaçant fit sursauter la silhouette inconnue, qui trembla avant de stopper tout mouvement. Sa bonne humeur ressurgit alors qu’il revenait vers la lapine, qui s’approcha du corps immobile. Panalap ricana devant son expression choquée et ses yeux ronds comme des assiettes.
- Une… Une pierre ?! Panalap ! Comment as-tu fait ?! Même Darken n’avait pas ce pouvoir !
Silencieux, le lynx fit signe à Gloria de le suivre chez lui. Abasourdie, elle prit sa suite sans protester.
La caverne abritait un air plus glacial encore qu’à l’extérieur, mais aucun des deux Vilnes ne ressentait le froid. Le Socle d’Orebos trônait sur la table d’étude de Panalap, dans tout son mystère.
- Le Socle d’Orebos, commença le félin d’un ton léger. Quel magnifique artefact !
Il détacha son regard de l’objet pour le diriger vers la lapine.
- L’Entité nous a laissé un merveilleux présent, Gloria ! Nous allons enfin pouvoir sortir de l’ombre !
Son invitée avait toujours des difficultés à comprendre où son camarade voulait en venir. Son regard interrogatif ne lui avait certainement pas échappé, car il reprit la parole, toujours plus gai.
- Tu ne comprends donc pas ? Cet artefact…
Des fils blancs issus du socle entourèrent un petit roc pendant qu’il parlait. Quelques secondes après, la pierre remua, émettant un son de silex qui s’entrechoquaient.
- … C’est l’Artefact de Vie !
Celui-ci avait l’habitude de vagabonder hors de cette planète, pour des périodes allant de quelques mois à une dizaine d’années. Mais jamais un siècle entier. Gloria prit sa tête entre ses pattes, assaillie par une violente migraine : cet être était le seul auquel elle tenait. Créé par l’Entité en même temps qu’elle, Darken avait été son partenaire de toujours, bien qu’issu d’une espèce différente : il était un Metachas. Un assistant de l’Entité, à forme d’immense requin à peau métallique. Bien plus puissant que la jeune Vilnes inexpérimentée qu’elle était à l’époque, il avait aidé à donner forme à cet Univers, avant que la lapine ne prenne la relève afin de soulager son compagnon.
Il l’avait soutenu, il était resté à son côté quand l’Entité avait abandonné la planète et ses Vilnes, ne laissant derrière lui qu’un étrange socle de granit.
Désormais, lui aussi n’était plus là. Lui aussi l’avait abandonné dans un monde qui ne lui appartenait pas. Un monde qui n’appartenait pas aux trop peu nombreux Vilnes.
Si seulement, pensa-t-elle en sortant de son abri, si seulement elle avait un peuple. Si seulement les Vilnes pouvaient représenter une véritable nation. Si seulement elle pouvait créer cette nation.
A l’extérieur, l’air était brumeux, froid et humide. La lapine ne pouvait même pas apercevoir la ville phérie à travers l’épais brouillard. L’observation rendue impossible, Gloria choisit de se promener dans le bois qui envahissait une partie de sa montagne. Le silence était total, l’atmosphère presque féérique, mais cela ne fit qu’alourdir la solitude qui pesait sur ses épaules.
Son regard se dirigea vers le ciel invisible, quand un bruit attira son attention. Sans un moment d’hésitation, des gerbes de mana jaillirent de ses paumes, immobilisant l’intrus en quelques instants. Cependant, un grognement familier d’inconfort lui fit annuler la magie d’entrave.
- Aaah, Gloria… Un jour, peut-être tu arrêteras d’agresser physiquement quiconque t’approche à moins de cent mètres.
Ryytonsa ne l’avait jamais une seule fois appelé « mère », ou « maman ». Leur relation n’était rien d’autre qu’une cohabitation entre collègues de travail, et la lapine s’en satisfaisait. Elle n’était pas un parent, et n’aimait pas son fils. Il n’avait jamais été voulu, et ce dernier en était bien conscient. Ses cicatrices et ses blessures transpirantes de pelana le lui rappelaient tous les jours.
- Ta compagnie n’est pas utile. Pars, va plutôt t’occuper de la Source, les flux sont faibles aujourd’hui.
Le ton sec de Gloria était sans appel. Le seul qu’elle accepterait à ses côtés en ce moment était Darken. Lui pourrait l’aider à éclaircir son esprit, à savoir quoi faire. Mais il était parti. Il était parti. Il était parti. Il était parti.
- Ahem. Ryytonsa s’éclaircit la gorge, déstabilisé par l’attitude inhabituelle de sa mère, qui était bien trop silencieuse. Panalap te demande, c’était la raison de ma venue en fait. Il aurait enfin achevé ses recherches.
Une lueur d’intérêt apparut dans les yeux de la lapine. Une parfaite occasion de fuir cet endroit, ses problèmes, d’occuper son esprit.
- C’est à propos du Socle d’Orebos ? demanda-t-elle, curieuse.
- A ton avis ? Il n’a fait qu’étudier ce machin depuis au moins plusieurs millions d’années, réfléchis un peu.
Ce Vilnes ne perdait jamais une occasion de montrer tout le mépris qu’il entretenait à l’égard de sa génitrice. Mais cette dernière ne releva pas, plongée une fois de plus dans ses pensées.
Depuis le départ de l’Entité, il y avait de cela cinquante millions d’années, Panalap avait travaillé sans relâche sur ce qu’était ce socle, laissé lui aussi derrière sur cette planète.
- … Gloria ? Ryytonsa agita sa patte devant le regard vide de sa mère, interloqué. Hé, la vieille, t’as définitivement pété un fusible ? HIIIII !
Un cri aigu lui échappa quand la lapine bondit dans les airs, frôlant dangereusement son museau jaune. Alors qu’elle disparaissait dans la brume, en direction de l’Ouest, le Vilnes s’adossa à un arbre, une patte posée sur son front.
- Et c’est censé être la co-fondatrice de l’Univers… Omeria, nous sommes mal barrés.
Une dragonne au long corps serpentin sortit des sous-bois. Ses écailles couleur d’améthyste contrastaient avec ses crins bleu azur et ses serres d’ivoire. Ses yeux entièrement noirs semblaient emplis de sagesse, de douceur, mais aussi de dureté. Sa voix grave et rauque s’éleva dans la forêt silencieuse.
- Je sais à quoi tu penses. Elle l’aurait découvert à un moment ou à un autre. Ne la sous-estime pas.
- Mais imagine ce qu’elle risque de faire avec de tels pouvoirs ! Elle a perdu l’Entité, et maintenant Darken… Elle n’a pas le recul nécessaire.
- Quel mal y a-t-il à suivre ses émotions ? La voix d’Omeria se fit étrangement douce. Nous ne pouvons pas nous cacher éternellement, mais notre petit nombre nous empêche de nous montrer. Je ne vois pas d’autre solution.
- … Je sais bien.
- Sa manière d’arriver à cette conclusion n’est peut-être pas la meilleure, mais le résultat sera le même. De grands changements arrivent, et j’espère que les Phéris sauront y faire face.
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Le paysage défilait à toute vitesse sous Gloria, alors que les vents la conduisaient vers l’île où Panalap vivait seul. Un étrange sentiment l’envahit, comme si la découverte de son camarade allait changer sa vie. Dans tous les cas, c’était forcément important, sinon il ne l’aurait jamais fait demander.
Du sable gris s’envola de tous côtés quand la lapine atterrit sur la plage. L’îlot était petit, et au premier abord inintéressant, voire peu accueillant. Le sol était rocailleux et recouvert d’une végétation noirâtre qui cachait au voyageur imprudent les failles et crevasses mortelles. Une grotte béante, à l’entrée inondée, donnait sur la mer, non loin de Gloria. C’est de là que sortit Panalap, marchant délicatement sur la surface de l’eau.
Le lynx possédait une magnifique fourrure crème ponctuée de noir, rendue épaisse par le climat océanique de son habitat. Ses yeux, autrefois couleur ardoise, s’étaient éclaircis pour prendre une teinte bleue. Un monocle, relié d’une chaîne d’argent à son oreille et à sa lèvre, encadrait son œil gauche. A la vue de la Vilnes, un sourire carnassier mais néanmoins amical déforma son visage. Ses muscles puissants se tendirent, et il la rejoint d’un bond.
- Gloria ! Enfin te voilà ! Pour une fois, Ryytonsa a fait ce qu’on lui a demandé.
La lapine soupira, sans répondre, à la mention du nom de son fils. Il n’appréciait que peu Panalap, trop énergique et excentrique à son goût. Puis, soudain, son attention fut attirée par une forme qui se mouvait derrière Panalap. Le lynx se retourna brièvement, tout sourire, avant de s’adresser à nouveau à Gloria.
- Moi qui voulais garder la surprise !
En un dixième de seconde, l’attitude du Vilnes devint menaçante, et une aura de danger l’engloba. Son feulement glaçant fit sursauter la silhouette inconnue, qui trembla avant de stopper tout mouvement. Sa bonne humeur ressurgit alors qu’il revenait vers la lapine, qui s’approcha du corps immobile. Panalap ricana devant son expression choquée et ses yeux ronds comme des assiettes.
- Une… Une pierre ?! Panalap ! Comment as-tu fait ?! Même Darken n’avait pas ce pouvoir !
Silencieux, le lynx fit signe à Gloria de le suivre chez lui. Abasourdie, elle prit sa suite sans protester.
La caverne abritait un air plus glacial encore qu’à l’extérieur, mais aucun des deux Vilnes ne ressentait le froid. Le Socle d’Orebos trônait sur la table d’étude de Panalap, dans tout son mystère.
- Le Socle d’Orebos, commença le félin d’un ton léger. Quel magnifique artefact !
Il détacha son regard de l’objet pour le diriger vers la lapine.
- L’Entité nous a laissé un merveilleux présent, Gloria ! Nous allons enfin pouvoir sortir de l’ombre !
Son invitée avait toujours des difficultés à comprendre où son camarade voulait en venir. Son regard interrogatif ne lui avait certainement pas échappé, car il reprit la parole, toujours plus gai.
- Tu ne comprends donc pas ? Cet artefact…
Des fils blancs issus du socle entourèrent un petit roc pendant qu’il parlait. Quelques secondes après, la pierre remua, émettant un son de silex qui s’entrechoquaient.
- … C’est l’Artefact de Vie !
== Chapitre 2 ==
Spoiler: show
Gloria fixa pendant un moment le visage jubilant de Panalap, incapable de pleinement réaliser ce qu’il venait de se passer. Seuls les crissements du petit rocher vivant brisaient le lourd silence qui envahissait la caverne. Le lynx poussa un petit soupir et lança un regard noir à la pierre qui, comme la première, trembla avant de redevenir immobile. Cela fait, il alla s’asseoir à côté de l’artefact, l’air solennel.
- Gloria, commença-t-il, d’une voix posée et sérieuse. Je te comprends. Il est difficile de comprendre ce qu’il nous arrive une fois que notre rêve est à portée de patte. Ce que je t’ai dit n’est pas une plaisanterie, je te l’assure.
La lapine cligna plusieurs fois des yeux, brusquement sortie de sa torpeur par les paroles du Vilnes. Légèrement désorientée, elle regarda autour d’elle, s’assurant de l’absence de Marie, grande amatrice des boutades de Panalap. Elle dût se rendre à l’évidence : tout était réel. Tout allait devenir réel.
- Désolée, répondit finalement Gloria, en se rapprochant de lui et du Socle. J’étais plongée dans mes pensées. C’est tellement… Inespéré ! Mais ne gambergeons pas. J’aimerais des explications : comment ça marche cette chose ?
- Cette chose, comme tu l’appelles, réagit aux émotions. Un ronronnement échappa au lynx en apercevant l’air ahuri de la lapine. Je vais essayer de faire le plus simple possible : pour créer la vie avec le Socle d’Orebos, il faut le vouloir profondément, et ressentir une émotion positive. Qu’importe que tes intentions soient égoïstes ou non. Par exemple, le désespoir n’aboutira à rien, et c’est ce qui m’a bloqué durant toutes ces années. Je m’acharnais à obtenir un résultat, et je ne ressentais rien de positif. Hier, j’ai enfin décidé de me débarrasser de tout ça : c’est avec ma joie que j’ai pu donner vie à cette pierre !
Concentrée, son interlocutrice buvait ses paroles, stockant les informations dans un coin de sa tête. Lorsque Panalap s’interrompit un instant, elle en profita pour poser des questions sur quelques points qui l’interrogeaient, telle une élève phérie avec son professeur.
- J’ai bien compris pour l’utilisation, même si je suppose qu’il faudra que je pratique, mais je ne veux pas d’un peuple de cailloux ! Comment pourrais-je créer des Vilnes, comme toi et moi ? Et j’ai pu te voir… « Tuer » tes créations, comment faire ?
Le débit de parole de Gloria augmentait avec chaque mot, transformant la fin de son discours en un charabia incompréhensible.
- Doucement ! s’exclama le lynx avec un petit rire. J’allais y venir, ne t’inquiète pas ! Pour répondre à ta première question, je n’ai pas le pouvoir de créer un être à partir de mana seul, j’ai dû me servir d’un support non vivant. Toi par contre, c’est une autre histoire.
Panalap lui adressa un clin d’œil, et la lapine acquiesça à ses insinuations : sur cette planète, elle était l’être qui maitrisait le mieux le mana sous sa forme la plus brute. C’était le centre même de sa magie, là où celui du lynx était la gravité. Une magie Argotera, l’une des catégories magiques les plus puissantes, pourtant ridicule devant la magie Prim que Gloria était désormais l’unique à posséder, maintenant que Darken était parti. Ce n’était que pure logique qu’elle fût la seule à pouvoir créer des Vilnes.
- Quand à « tuer » tes créations, continua Panalap, c’est finalement assez simple. C’est l’inverse du processus de naissance : il suffit d’une très forte émotion négative dirigée vers l’être. La haine, le désespoir, la jalousie… Du moment que le sentiment est puissant et dirigé vers ta création, ça la tuera.
La lapine fit la grimace à cette annonce. Elle savait avoir un très mauvais caractère et s’emporter facilement. Elle ne voudrait pas annihiler un Vilnes sans le faire exprès, sous le coup de la colère. Une maitrise de ses émotions allait lui être nécessaire, à son grand dam.
Gloria secoua la tête pour se débarrasser de ces pensées parasites et, sans hésiter, saisit l’artefact avant de se diriger vers la sortie. La voix légère du félin l’interrompit, une dernière fois, alors qu’elle était sur le point de partir.
- Où vas-tu ?
- A la Source ! s’exclama la Vilnes en s’envolant, donnant forme à un tourbillon d’eau et de sable à son point de décollage.
La Source de Mana se situait au fin fond d’un marais, à l’Est de l’unique continent. Ces étendues de tourbe sans nom avaient écopé d’une réputation de plaines empoisonnées, où aucune créature, aucune plante ne pouvait survivre. A l’exception d’une herbe, reconnaissable à sa couleur violacée, qui était devenue résistante à l’influence de la Source.
Cet énorme nœud, aux concentrations maniques telles que l’esper était bien visibles, représentait le cœur de cette planète. C’était à partir de cet endroit que le mana était envoyé aux quatre coins de ce monde, et c’était ici que tous les flux se rejoignaient. Ce phénomène attirait tous les composés maniques alentours, empêchant toute vie de s’en approcher, sous peine de mourir d’une carence en esper. Seuls Gloria et son fils pouvaient survivre, grâce à la maitrise experte qu’ils avaient sur leur pelana.
Le nœud ne devait jamais être défait, mais il arrivait qu’il se desserve de lui-même, affaiblissant les flux atmosphériques et menaçant les organismes les plus sensibles aux variations maniques. Les deux Vilnes étaient alors chargé de le renouer : ils étaient ce qu’on appelait des Katho-Metatrop, les Dompteurs de Magie.
C’était d’ailleurs ce qu’elle trouva Ryytonsa en train de faire, assis sur le sol marécageux. Cette fois-ci, la lapine ne pouvait le fustiger sur sa lenteur : manipuler la Source nécessitait d’extrêmes précautions. Une erreur pouvait se révéler mortelle, aussi bien pour le Vilnes que pour la planète.
Un soupir déchira le silence environnant, et Ryytonsa se leva, admirant brièvement son travail accompli avant de se retourner pour faire face à sa génitrice. Sans montrer le moindre signe de surprise, il posa son regard sur le Socle qu’elle portait dans ses bras.
- Que comptes-tu faire maintenant ? lâcha-t-il, une once d’exaspération dans la voix.
- A ton avis ? Cela fait des millions d’années que je ne rêve que d’une seule chose. Réfléchis un peu, railla-t-elle, en s’approchant de la Source.
Gloria pouvait sentir le mana tenter de lui arracher son pelana comme des frissons sur sa peau. C’était la sensation qu’elle connaissait qui se rapprochait le plus du froid, et elle aimait fermer les yeux et inspirer la puissance de ce lieu.
- Pourquoi ici ? l’interrompit dans son rituel son fils.
- Je veux créer des êtres purement maniques, comme nous. C’est dans cet endroit que j’aurais le plus de matériau pour travailler.
Le Vilnes haussa ses épaules décharnées, et prit une dernière fois la parole, très sérieusement, avant son décollage.
- Réfléchis biens aux conséquences de tes actes.
Mais la lapine ne l’écoutait pas. Elle pensait déjà à comment construire sa première création. Quelle taille ? Quelle apparence ? Pouvait-elle influer sur sa personnalité ? Cette infinité de paramètres tournoyait dans son esprit, l’étourdissant légèrement. Elle n’allait pas donner la vie comme avait fait Panalap, elle allait créer la vie. Seule l’Entité avait pu réaliser cela auparavant. Gloria tremblait d’anticipation comme de joie de s’approcher encore un peu plus de son parent et mentor.
Déterminée, elle posa l’artefact de granit entre elle et la Source. A peine se concentra-t-elle sur l’objet qu’une dizaine de filaments blancs jaillit de sa surface enveloppée d’un halo nitescent, la submergeant de pouvoir. Peinant à se remettre de cette vague de magie, elle dût toutefois se reprendre rapidement pour tenter d’empêcher les fins tentacules d’être absorbés par l’immense nœud manique. Après une dizaine de minutes de lutte, elle arriva enfin à stabiliser l’énergie de l’artefact dans le but de prélever le mana atmosphérique.
Le processus fut long, et fastidieux. Créer la vie n’était pas une mince affaire, et chacune des infiniment nombreuses variables devaient être prise en compte afin de ne pas donner naissance à un être non viable. Gloria dût replonger dans ses souvenirs lointains d’observation de l’Entité, quand elle avait construit Panalap, Omeria et la famille disparue de Marie. Comment répartir le mana et l’esper, comment rendre fonctionnelle chaque partie du corps afin que le futur Vilnes puisse s’alimenter, se mouvoir, se reproduire, vivre, comment éviter les surcharges et autres courts-circuits des flux…
Les échecs s’enchaînèrent, les uns après les autres. La lapine s’était surestimée, comme elle en avait l’habitude. Elle croyait pouvoir maitriser aisément le Socle d’Orebos, oubliant presque volontairement qu’il avait fallu à Panalap quelques centaines de milliers d’années pour obtenir un contrôle suffisant.
Gloria était exténuée. Elle pouvait sentir une sueur pourtant inexistante cascader sur son visage et son corps. Combien de jours, de semaines, de mois avaient passé ? Elle ne pouvait pas le savoir, trop concentrée qu’elle était sur son travail. Elle ne comptait plus les fiascos, et ne vivait plus qu’à travers cette œuvre qu’elle voulait achever, plus que tout au monde. Ses yeux embrumés de fatigue étaient pourtant toujours éclairés d’une lueur de détermination. Elle n’abandonnera jamais, quitte à céder et disparaître, fusionnée avec la Source.
Le temps passa, et Panalap se surprit à s’inquiéter pour la lapine. Flottant délicatement sur l’eau à l’entrée de son antre, il regarda fixement vers l’Est. Ah, qu’il aimerait pouvoir ressentir l’énergie manique de ses compatriotes, comme il l’avait lu dans une vieille fiction phérie populaire ! Qu’il aimerait pouvoir savoir vérifier l’état d’un de ses camarades d’une seule pensée ! Mais tout cela n’était que science-fiction, incompatible avec ce monde. Même la magie psychique d’Omeria ne pouvait lire les esprits d’aussi loin. Un léger sourire sur les babines, il rentra s’atteler à ses études, l’espoir de bientôt revoir Gloria dans un coin de sa tête.
A des centaines de kilomètres de là, la Vilnes était si concentrée qu’elle ne remarqua pas le petit bruit émanant du cocon de filaments blancs. Celui-ci prit de l’ampleur, minute après minute, forçant la créatrice à ouvrir les yeux. A ce moment-là exactement, la soie manique éclata, révélant son contenu sous le regard stupéfait de la lapine.
L’être possédait quatre longues pattes graciles aux sabots fourchus, et un corps fin et élégant recouvert d’un fin pelage mauve marbré de rose pâle. Sa queue était haute, garnie de crins violets, et sa crinière, de la même couleur, cascadait sur un côté de son cou mince, mais musclé. Ses yeux d’un noir profond étaient encadrés de longs cils, dans un visage gracieux au long museau chevalin. Le plus remarquable était une corne unique, nacrée et légèrement courbée, plantée en plein milieu de son front.
La créature nouveau-née s’avança, chancelante, vers sa génitrice, la tête penchée en signe de déférence. Le regard de Gloria s’embua d’émotion, ses pattes tremblèrent, et elle ouvrit les bras, accueillant la licorne contre elle, dans un accès d’affection qu’elle connut pour la première fois envers quelqu’un d’autre que Darken.
- Calops… murmura-t-elle, d’une voix incroyablement douce.
Ce mot, tiré du langage de l’Entité, l’Aasar-Not-Monoy, le dialecte le plus ancien de cet Univers, signifiait « Vie ». La lapine avait réfléchi à des noms avant de s’atteler à cette tâche incroyablement complexe qu’était la création, mais celui-ci lui avait semblé bien plus approprié que tous les autres.
Un sourire sembla étirer le visage dépourvu de bouche de la Vilnes quand elle parla à nouveau, résolue.
- Vis.
- Gloria, commença-t-il, d’une voix posée et sérieuse. Je te comprends. Il est difficile de comprendre ce qu’il nous arrive une fois que notre rêve est à portée de patte. Ce que je t’ai dit n’est pas une plaisanterie, je te l’assure.
La lapine cligna plusieurs fois des yeux, brusquement sortie de sa torpeur par les paroles du Vilnes. Légèrement désorientée, elle regarda autour d’elle, s’assurant de l’absence de Marie, grande amatrice des boutades de Panalap. Elle dût se rendre à l’évidence : tout était réel. Tout allait devenir réel.
- Désolée, répondit finalement Gloria, en se rapprochant de lui et du Socle. J’étais plongée dans mes pensées. C’est tellement… Inespéré ! Mais ne gambergeons pas. J’aimerais des explications : comment ça marche cette chose ?
- Cette chose, comme tu l’appelles, réagit aux émotions. Un ronronnement échappa au lynx en apercevant l’air ahuri de la lapine. Je vais essayer de faire le plus simple possible : pour créer la vie avec le Socle d’Orebos, il faut le vouloir profondément, et ressentir une émotion positive. Qu’importe que tes intentions soient égoïstes ou non. Par exemple, le désespoir n’aboutira à rien, et c’est ce qui m’a bloqué durant toutes ces années. Je m’acharnais à obtenir un résultat, et je ne ressentais rien de positif. Hier, j’ai enfin décidé de me débarrasser de tout ça : c’est avec ma joie que j’ai pu donner vie à cette pierre !
Concentrée, son interlocutrice buvait ses paroles, stockant les informations dans un coin de sa tête. Lorsque Panalap s’interrompit un instant, elle en profita pour poser des questions sur quelques points qui l’interrogeaient, telle une élève phérie avec son professeur.
- J’ai bien compris pour l’utilisation, même si je suppose qu’il faudra que je pratique, mais je ne veux pas d’un peuple de cailloux ! Comment pourrais-je créer des Vilnes, comme toi et moi ? Et j’ai pu te voir… « Tuer » tes créations, comment faire ?
Le débit de parole de Gloria augmentait avec chaque mot, transformant la fin de son discours en un charabia incompréhensible.
- Doucement ! s’exclama le lynx avec un petit rire. J’allais y venir, ne t’inquiète pas ! Pour répondre à ta première question, je n’ai pas le pouvoir de créer un être à partir de mana seul, j’ai dû me servir d’un support non vivant. Toi par contre, c’est une autre histoire.
Panalap lui adressa un clin d’œil, et la lapine acquiesça à ses insinuations : sur cette planète, elle était l’être qui maitrisait le mieux le mana sous sa forme la plus brute. C’était le centre même de sa magie, là où celui du lynx était la gravité. Une magie Argotera, l’une des catégories magiques les plus puissantes, pourtant ridicule devant la magie Prim que Gloria était désormais l’unique à posséder, maintenant que Darken était parti. Ce n’était que pure logique qu’elle fût la seule à pouvoir créer des Vilnes.
- Quand à « tuer » tes créations, continua Panalap, c’est finalement assez simple. C’est l’inverse du processus de naissance : il suffit d’une très forte émotion négative dirigée vers l’être. La haine, le désespoir, la jalousie… Du moment que le sentiment est puissant et dirigé vers ta création, ça la tuera.
La lapine fit la grimace à cette annonce. Elle savait avoir un très mauvais caractère et s’emporter facilement. Elle ne voudrait pas annihiler un Vilnes sans le faire exprès, sous le coup de la colère. Une maitrise de ses émotions allait lui être nécessaire, à son grand dam.
Gloria secoua la tête pour se débarrasser de ces pensées parasites et, sans hésiter, saisit l’artefact avant de se diriger vers la sortie. La voix légère du félin l’interrompit, une dernière fois, alors qu’elle était sur le point de partir.
- Où vas-tu ?
- A la Source ! s’exclama la Vilnes en s’envolant, donnant forme à un tourbillon d’eau et de sable à son point de décollage.
___________________________________
La Source de Mana se situait au fin fond d’un marais, à l’Est de l’unique continent. Ces étendues de tourbe sans nom avaient écopé d’une réputation de plaines empoisonnées, où aucune créature, aucune plante ne pouvait survivre. A l’exception d’une herbe, reconnaissable à sa couleur violacée, qui était devenue résistante à l’influence de la Source.
Cet énorme nœud, aux concentrations maniques telles que l’esper était bien visibles, représentait le cœur de cette planète. C’était à partir de cet endroit que le mana était envoyé aux quatre coins de ce monde, et c’était ici que tous les flux se rejoignaient. Ce phénomène attirait tous les composés maniques alentours, empêchant toute vie de s’en approcher, sous peine de mourir d’une carence en esper. Seuls Gloria et son fils pouvaient survivre, grâce à la maitrise experte qu’ils avaient sur leur pelana.
Le nœud ne devait jamais être défait, mais il arrivait qu’il se desserve de lui-même, affaiblissant les flux atmosphériques et menaçant les organismes les plus sensibles aux variations maniques. Les deux Vilnes étaient alors chargé de le renouer : ils étaient ce qu’on appelait des Katho-Metatrop, les Dompteurs de Magie.
C’était d’ailleurs ce qu’elle trouva Ryytonsa en train de faire, assis sur le sol marécageux. Cette fois-ci, la lapine ne pouvait le fustiger sur sa lenteur : manipuler la Source nécessitait d’extrêmes précautions. Une erreur pouvait se révéler mortelle, aussi bien pour le Vilnes que pour la planète.
Un soupir déchira le silence environnant, et Ryytonsa se leva, admirant brièvement son travail accompli avant de se retourner pour faire face à sa génitrice. Sans montrer le moindre signe de surprise, il posa son regard sur le Socle qu’elle portait dans ses bras.
- Que comptes-tu faire maintenant ? lâcha-t-il, une once d’exaspération dans la voix.
- A ton avis ? Cela fait des millions d’années que je ne rêve que d’une seule chose. Réfléchis un peu, railla-t-elle, en s’approchant de la Source.
Gloria pouvait sentir le mana tenter de lui arracher son pelana comme des frissons sur sa peau. C’était la sensation qu’elle connaissait qui se rapprochait le plus du froid, et elle aimait fermer les yeux et inspirer la puissance de ce lieu.
- Pourquoi ici ? l’interrompit dans son rituel son fils.
- Je veux créer des êtres purement maniques, comme nous. C’est dans cet endroit que j’aurais le plus de matériau pour travailler.
Le Vilnes haussa ses épaules décharnées, et prit une dernière fois la parole, très sérieusement, avant son décollage.
- Réfléchis biens aux conséquences de tes actes.
Mais la lapine ne l’écoutait pas. Elle pensait déjà à comment construire sa première création. Quelle taille ? Quelle apparence ? Pouvait-elle influer sur sa personnalité ? Cette infinité de paramètres tournoyait dans son esprit, l’étourdissant légèrement. Elle n’allait pas donner la vie comme avait fait Panalap, elle allait créer la vie. Seule l’Entité avait pu réaliser cela auparavant. Gloria tremblait d’anticipation comme de joie de s’approcher encore un peu plus de son parent et mentor.
Déterminée, elle posa l’artefact de granit entre elle et la Source. A peine se concentra-t-elle sur l’objet qu’une dizaine de filaments blancs jaillit de sa surface enveloppée d’un halo nitescent, la submergeant de pouvoir. Peinant à se remettre de cette vague de magie, elle dût toutefois se reprendre rapidement pour tenter d’empêcher les fins tentacules d’être absorbés par l’immense nœud manique. Après une dizaine de minutes de lutte, elle arriva enfin à stabiliser l’énergie de l’artefact dans le but de prélever le mana atmosphérique.
Le processus fut long, et fastidieux. Créer la vie n’était pas une mince affaire, et chacune des infiniment nombreuses variables devaient être prise en compte afin de ne pas donner naissance à un être non viable. Gloria dût replonger dans ses souvenirs lointains d’observation de l’Entité, quand elle avait construit Panalap, Omeria et la famille disparue de Marie. Comment répartir le mana et l’esper, comment rendre fonctionnelle chaque partie du corps afin que le futur Vilnes puisse s’alimenter, se mouvoir, se reproduire, vivre, comment éviter les surcharges et autres courts-circuits des flux…
Les échecs s’enchaînèrent, les uns après les autres. La lapine s’était surestimée, comme elle en avait l’habitude. Elle croyait pouvoir maitriser aisément le Socle d’Orebos, oubliant presque volontairement qu’il avait fallu à Panalap quelques centaines de milliers d’années pour obtenir un contrôle suffisant.
Gloria était exténuée. Elle pouvait sentir une sueur pourtant inexistante cascader sur son visage et son corps. Combien de jours, de semaines, de mois avaient passé ? Elle ne pouvait pas le savoir, trop concentrée qu’elle était sur son travail. Elle ne comptait plus les fiascos, et ne vivait plus qu’à travers cette œuvre qu’elle voulait achever, plus que tout au monde. Ses yeux embrumés de fatigue étaient pourtant toujours éclairés d’une lueur de détermination. Elle n’abandonnera jamais, quitte à céder et disparaître, fusionnée avec la Source.
Le temps passa, et Panalap se surprit à s’inquiéter pour la lapine. Flottant délicatement sur l’eau à l’entrée de son antre, il regarda fixement vers l’Est. Ah, qu’il aimerait pouvoir ressentir l’énergie manique de ses compatriotes, comme il l’avait lu dans une vieille fiction phérie populaire ! Qu’il aimerait pouvoir savoir vérifier l’état d’un de ses camarades d’une seule pensée ! Mais tout cela n’était que science-fiction, incompatible avec ce monde. Même la magie psychique d’Omeria ne pouvait lire les esprits d’aussi loin. Un léger sourire sur les babines, il rentra s’atteler à ses études, l’espoir de bientôt revoir Gloria dans un coin de sa tête.
A des centaines de kilomètres de là, la Vilnes était si concentrée qu’elle ne remarqua pas le petit bruit émanant du cocon de filaments blancs. Celui-ci prit de l’ampleur, minute après minute, forçant la créatrice à ouvrir les yeux. A ce moment-là exactement, la soie manique éclata, révélant son contenu sous le regard stupéfait de la lapine.
L’être possédait quatre longues pattes graciles aux sabots fourchus, et un corps fin et élégant recouvert d’un fin pelage mauve marbré de rose pâle. Sa queue était haute, garnie de crins violets, et sa crinière, de la même couleur, cascadait sur un côté de son cou mince, mais musclé. Ses yeux d’un noir profond étaient encadrés de longs cils, dans un visage gracieux au long museau chevalin. Le plus remarquable était une corne unique, nacrée et légèrement courbée, plantée en plein milieu de son front.
La créature nouveau-née s’avança, chancelante, vers sa génitrice, la tête penchée en signe de déférence. Le regard de Gloria s’embua d’émotion, ses pattes tremblèrent, et elle ouvrit les bras, accueillant la licorne contre elle, dans un accès d’affection qu’elle connut pour la première fois envers quelqu’un d’autre que Darken.
- Calops… murmura-t-elle, d’une voix incroyablement douce.
Ce mot, tiré du langage de l’Entité, l’Aasar-Not-Monoy, le dialecte le plus ancien de cet Univers, signifiait « Vie ». La lapine avait réfléchi à des noms avant de s’atteler à cette tâche incroyablement complexe qu’était la création, mais celui-ci lui avait semblé bien plus approprié que tous les autres.
Un sourire sembla étirer le visage dépourvu de bouche de la Vilnes quand elle parla à nouveau, résolue.
- Vis.
== Chapitre 3 ==
Spoiler: show
- Pour la énième fois : non tu n’auras pas de copain tout de suite ! Ni de copine, ni rien !
Gloria regrettait déjà la naissance de Calops. Cette Vilnes était impossible à tenir et ne semblait posséder aucun instinct de survie. Elle vagabondait dans les marais sans se soucier de la profondeur de l’eau, oubliant totalement qu’elle ne savait pas nager.
Toutefois, quelque chose d’encore plus inhabituel l’avait frappé : la licorne résistait sans aucun problème à l’influence mortelle de la Source de Mana. La lapine lui avait même posé franchement la question, et elle ne ressentait aucune faiblesse, bien au contraire. Etait-ce dû au fait qu’elle était constituée des composés maniques hyper concentrés du nœud ? Probablement. Mais Gloria n’avait pas le temps d’y penser. Son travail n’était pas terminé : sans magie, Calops était encore incomplète.
La lapine avait observé l’Entité donner ses pouvoirs à Ryytonsa, il y a de cela plusieurs millions d’années. Elle devait faire de même, car elle voulait que sa création soit à égalité avec les autres Vilnes. Mais que lui offrir ? Une chose était certaine, une magie commune était hors de question, étant bien trop faible. Elle devait choisir entre magie rare et Argotera…
Un cri retentit soudain. Pas de peur, ni vraiment de surprise, plutôt… D’émerveillement. Gloria soupira bruyamment et alla rejoindre l’agaçante licorne. Cette dernière, toute tremblante d’excitation, était penchée sur un être informe, haut d’à peine un mètre trente. On l’aurait dit découpé dans l’espace et en regardant bien, on jurerait pouvoir observer étoiles et planètes. Un vortex tournoyant frétillait en son centre, d’une couleur de néant.
- Regarde Gloria ! s’exclama la voix enjouée de Calops. Qu’est-ce que c’est ? C’est beau…
La lapine se pétrifia quand le trou noir, tel un œil menaçant, se mit à la fixer intensément. Un Mies, surnommé Enfants-Minuit en raison de leur petite taille. Un être extrêmement rare, dont la population ne dépassait pas la quinzaine d’individus et qui était considéré comme une simple bête sauvage et dangereuse par les Phéris. En effet, dangereux, les Mies l’étaient. Le vortex qui leur tenait lieu de cœur était mortel et absorbait qui le regardait trop longtemps. Mais ils représentaient une civilisation au même titre que les Phéris. Ils n’utilisaient pas un langage parlé et ne construisaient pas de villes, pourtant ils étaient intelligents, pouvaient raisonner, et Gloria avait eu l’occasion de vivre parmi eux, et d’apprendre leurs moyens uniques de communication. Elle avait pu découvrir leurs arts et leur littérature étrange, leur philosophie pacifiste basée sur le refus de tuer un seul être vivant. Elle avait su dès cet instant qu’ils n’allaient pas la soutenir dans son projet de nation, car ils méprisaient le changement.
Le Mies sembla reconnaître la lapine et se détourna totalement de Calops. Son vortex tournoya soudain plus rapidement, alors que les yeux de la Vilnes s’écarquillèrent : il venait de lui dire exactement la même chose que son fils, plus d’un an auparavant.
~ Réfléchis aux conséquences de tes actes.
La licorne regarda tour à tour l’Enfant-Minuit et sa génitrice, n’arrivant pas à comprendre ce qu’il se passait. Ennuyée par le développement bizarre que prenait la situation, elle finit par retourner trotter dans la tourbe, dans la direction opposée à la Source. Son visage affichait une moue exagérée par des joues gonflées.
Gloria jeta un regard noir au Mies avant de rattraper Calops, légèrement agacée par le comportement de sa création tout comme par celui du Mies.
- C’était un Mies, expliqua-t-elle, très sérieuse. Ils sont rares, mais si tu en rencontres un, ne regarde jamais le tourbillon. Cela te tuerait.
La licorne acquiesça, son mouvement d’humeur envolé. Ses yeux noirs brillaient d’intérêt, comme à chaque fois que sa mère lui enseignait quelque chose. Cette dernière, d’un mouvement de patte, lui indiqua de s’approcher.
- Il est temps de quitter ces marais ! s’exclama-t-elle. Viens ici, à côté de moi. Nous allons chez Panalap.
Avant même que Calops puisse demander qui était-ce, une bourrasque l’enveloppa. Malgré sa grande taille en comparaison avec sa créatrice, elle fut soulevée aisément. La Vilnes s’émerveilla en observant le sol s’éloigner à toute vitesse, les crins froissés par le vent frais.
Le voyage dura environ une trentaine de minutes, temps que la licorne avait passé à admirer les différents paysages qui avaient défilé sous elle. Sur la petite île grisâtre, le lynx était allongé sur une pierre plate, profitant du trop rare soleil qui réchauffait délicieusement son poil.
Ne souhaitant pas perdre plus de temps qu’il était nécessaire, avant que sa compagne ne puisse réagir, Gloria ramassa un galet et le lança en direction du Vilnes assoupi. Quand le projectile heurta sa tête avec un bruit sourd, la licorne se précipita à côté de l’inconnu, l’air inquiet.
- Ça va ? demanda-t-elle d’une voix douce comme du miel.
La lapine frappa très fort son front de sa patte, désespéré par la réaction de sa création, qu’elle jugeait aussi absurde qu’inconsciente. Elle ne connaissait pas Panalap, et ne pouvait pas savoir s’il était agressif ou non. Un minimum d’instinct de survie l’aurait empêché de s’approcher aussi près et de prendre d’aussi gros risques. Heureusement, le lynx se leva doucement, sans mouvement brusque, et posa un regard bienveillant sur Calops.
- Ne t’inquiètes pas, prononça-t-il lentement. Je suis habitué à son comportement.
Son interlocutrice poussa un soupir de soulagement avant de poser un genou à terre, se prosternant avec grâce et déférence.
- Enchantée Panalap, annonça-t-elle d’un ton cérémonieux, au grand étonnement de Gloria. Je me nomme Calops, j’ai été créée par Gloria à la Source de Mana. Je suis ici afin d’apprendre quel rôle je vais devoir remplir.
Sa génitrice était estomaquée devant ce changement total d’attitude, les yeux ronds comme des soucoupes. A cette vue, leur hôte émit un ronronnement bruyant et enjoué. Il avait rapidement remarqué que la lapine sous-estimait beaucoup la licorne, qui pourtant semblait posséder un énorme potentiel. Toutefois, elle se reprit quasiment sur-le-champ et invita les deux autres à venir vers elle, afin d’éviter de converser trop fort et d’attirer l’attention d’êtres indésirables.
- La première chose à faire, commença Gloria, le regard fixé sur Calops, c’est de t’offrir une magie. Sans cela, tu n’es pas une Vilnes finie. C’est pour ça que nous sommes venus ici : Panalap va m’aider à canaliser mon mana pour ne pas te tuer d’une overdose. Par contre, j’espère que tu aimes les surprises, parce que je ne peux choisir que la puissance de ta magie, et pas ce qu’elle fait. Ça te convient ?
Les iris de jais de la jeune Vilnes pétillèrent de joie et d’anticipation à cette annonce, impatiente de recevoir cet adoubement exceptionnel. La lapine prit cela pour un oui et se tourna vers son vieux camarade, interrogative. Un autre ronronnement échappa à ce dernier, et il lui répond d’une voix emplie de joie de participer.
- Évidemment que j’accepte ! Je refuse de te laisser pédaler dans la semoule comme durant cette année.
Gloria sembla sourire à l’écoute des paroles du lynx, vue rare que Calops apprécia grandement. C’était la deuxième fois qu’elle pouvait observer ce plaisir invisible sur son visage depuis sa création, un plaisir qui la contamina facilement et la poussa à frotter son museau contre ses oreilles dressées, dans un geste affectueux.
- Que… Qu’est-ce que tu fous ?! hurla la lapine, profondément outrée.
Se sentant coupable de cette saute d’humeur, la licorne ne pipa mot et galopa sans hésitation vers la caverne inondée en guise de réponse.
L’aide de Panalap fut extrêmement précieuse. En effet, éreintée par la naissance encore très récente de Calops, Gloria montrait de grandes difficultés à maîtriser correctement son flux manique. La licorne, elle, ne bougeait pas d’un poil, soucieuse de ne pas déconcentrer ses deux aînés, malgré son excitation. Étrangement, elle ne craignait absolument pas la mort qui pouvait pourtant survenir à tout moment.
Dans l’optique de donner une magie puissante à la jeune Vilnes, le processus avait été complexifié et rallongé. Cinq heures passèrent, et la lapine ne pouvait en voir la fin, trop absorbée dans son travail. Cependant, quelques minutes après, elle sentit le contrôle qu’exerçait le lynx se relâcher et, prenant peur de perdre tout pouvoir de régulation sur son mana, elle stoppa tout, quitte à rater entièrement la passation de magie. Heureusement, une fois sa vue revenue et son équilibre retrouvé, elle put admirer le spectacle qui se déroulait à une dizaine de mètres d’elle.
Calops dansait au milieu de la grotte, ses sabots fourchus claquant sur le sol rocailleux. De sa corne émanait une substance poudreuse rose, que la licorne pliait à sa volonté, lui faisant prendre différentes formes complexes avec une aisance remarquable. Tantôt une fine rapière, tantôt une imposante claymore, l’arme manique tournoyait dans l’air humide, dans un ballet impitoyable qui ne laissait pratiquement aucune ouverture.
Aucun des deux Vilnes ne s’étonnait de ce haut niveau de maîtrise pourtant très précoce. Eux-mêmes avaient pu assimiler en quelques minutes toutes les connaissances nécessaires sur leur magie, leur permettant un contrôle expert sur leurs pouvoirs. Cela leur conférait un avantage sans précédent sur les quelques autres espèces maniques, qui devaient apprendre à se servir de leur magie.
Une fois Calops calmée, cette dernière expliqua, d’un ton passionné, en quoi consistait sa magie. Elle pouvait créer des armes à partir de sa corne, constituées d’une poudre qui paralysait au simple contact. Elle pouvait également charmer autrui, dans une moindre mesure qu’Omeria toutefois. Gloria et Panalap applaudirent avec enthousiasme l’exposé de la licorne, tous deux émerveillés par cette nouvelle magie, de classe Rare. Il ne restait plus qu’une dernière décision à prendre.
- Et maintenant ? demanda le lynx, curieux de connaître la suite.
- Nous allons avoir besoin de temps, répondit gravement la lapine, une pointe de regret dans la voix. Je suis désolée mon ami, nous allons devoir attendre encore un peu avant de nous dévoiler. Six individus ne sont pas encore assez pour constituer un peuple.
- Ne t’en fais pas voyons ! Je peux bien patienter encore un peu. Par contre, même si ce n’est pas pour tout de suite, il nous faut un plan. Comment être reconnus en tant que nation ?
- L’intégration ! Nous allons nous intégrer avec les Phéris. Nous allons enfin révéler notre existence, et ils n’auront pas d’autre choix que de nous reconnaître !
- Et… S’ils décident que nous en sommes indignes, et essayent de nous chasser ?
Le regard bleu de Gloria se durcit, son visage fut déformé par la haine secrète qu’elle entretenait à l’égard du peuple principal de cette planète et son poing fissura la paroi de la caverne.
- Nous les écraserons. Nous effacerons ces êtres faibles et incapables de maîtriser le mana de la surface de cette planète.
Nous reprendrons ce qui est à nous, ce qui a toujours été à nous. J’ai créé cette planète.
Sa voix se mua en un grondement menaçant, pétrifiant sur place Calops et Panalap.
- Elle m’appartient.
Gloria regrettait déjà la naissance de Calops. Cette Vilnes était impossible à tenir et ne semblait posséder aucun instinct de survie. Elle vagabondait dans les marais sans se soucier de la profondeur de l’eau, oubliant totalement qu’elle ne savait pas nager.
Toutefois, quelque chose d’encore plus inhabituel l’avait frappé : la licorne résistait sans aucun problème à l’influence mortelle de la Source de Mana. La lapine lui avait même posé franchement la question, et elle ne ressentait aucune faiblesse, bien au contraire. Etait-ce dû au fait qu’elle était constituée des composés maniques hyper concentrés du nœud ? Probablement. Mais Gloria n’avait pas le temps d’y penser. Son travail n’était pas terminé : sans magie, Calops était encore incomplète.
La lapine avait observé l’Entité donner ses pouvoirs à Ryytonsa, il y a de cela plusieurs millions d’années. Elle devait faire de même, car elle voulait que sa création soit à égalité avec les autres Vilnes. Mais que lui offrir ? Une chose était certaine, une magie commune était hors de question, étant bien trop faible. Elle devait choisir entre magie rare et Argotera…
Un cri retentit soudain. Pas de peur, ni vraiment de surprise, plutôt… D’émerveillement. Gloria soupira bruyamment et alla rejoindre l’agaçante licorne. Cette dernière, toute tremblante d’excitation, était penchée sur un être informe, haut d’à peine un mètre trente. On l’aurait dit découpé dans l’espace et en regardant bien, on jurerait pouvoir observer étoiles et planètes. Un vortex tournoyant frétillait en son centre, d’une couleur de néant.
- Regarde Gloria ! s’exclama la voix enjouée de Calops. Qu’est-ce que c’est ? C’est beau…
La lapine se pétrifia quand le trou noir, tel un œil menaçant, se mit à la fixer intensément. Un Mies, surnommé Enfants-Minuit en raison de leur petite taille. Un être extrêmement rare, dont la population ne dépassait pas la quinzaine d’individus et qui était considéré comme une simple bête sauvage et dangereuse par les Phéris. En effet, dangereux, les Mies l’étaient. Le vortex qui leur tenait lieu de cœur était mortel et absorbait qui le regardait trop longtemps. Mais ils représentaient une civilisation au même titre que les Phéris. Ils n’utilisaient pas un langage parlé et ne construisaient pas de villes, pourtant ils étaient intelligents, pouvaient raisonner, et Gloria avait eu l’occasion de vivre parmi eux, et d’apprendre leurs moyens uniques de communication. Elle avait pu découvrir leurs arts et leur littérature étrange, leur philosophie pacifiste basée sur le refus de tuer un seul être vivant. Elle avait su dès cet instant qu’ils n’allaient pas la soutenir dans son projet de nation, car ils méprisaient le changement.
Le Mies sembla reconnaître la lapine et se détourna totalement de Calops. Son vortex tournoya soudain plus rapidement, alors que les yeux de la Vilnes s’écarquillèrent : il venait de lui dire exactement la même chose que son fils, plus d’un an auparavant.
~ Réfléchis aux conséquences de tes actes.
La licorne regarda tour à tour l’Enfant-Minuit et sa génitrice, n’arrivant pas à comprendre ce qu’il se passait. Ennuyée par le développement bizarre que prenait la situation, elle finit par retourner trotter dans la tourbe, dans la direction opposée à la Source. Son visage affichait une moue exagérée par des joues gonflées.
Gloria jeta un regard noir au Mies avant de rattraper Calops, légèrement agacée par le comportement de sa création tout comme par celui du Mies.
- C’était un Mies, expliqua-t-elle, très sérieuse. Ils sont rares, mais si tu en rencontres un, ne regarde jamais le tourbillon. Cela te tuerait.
La licorne acquiesça, son mouvement d’humeur envolé. Ses yeux noirs brillaient d’intérêt, comme à chaque fois que sa mère lui enseignait quelque chose. Cette dernière, d’un mouvement de patte, lui indiqua de s’approcher.
- Il est temps de quitter ces marais ! s’exclama-t-elle. Viens ici, à côté de moi. Nous allons chez Panalap.
Avant même que Calops puisse demander qui était-ce, une bourrasque l’enveloppa. Malgré sa grande taille en comparaison avec sa créatrice, elle fut soulevée aisément. La Vilnes s’émerveilla en observant le sol s’éloigner à toute vitesse, les crins froissés par le vent frais.
Le voyage dura environ une trentaine de minutes, temps que la licorne avait passé à admirer les différents paysages qui avaient défilé sous elle. Sur la petite île grisâtre, le lynx était allongé sur une pierre plate, profitant du trop rare soleil qui réchauffait délicieusement son poil.
Ne souhaitant pas perdre plus de temps qu’il était nécessaire, avant que sa compagne ne puisse réagir, Gloria ramassa un galet et le lança en direction du Vilnes assoupi. Quand le projectile heurta sa tête avec un bruit sourd, la licorne se précipita à côté de l’inconnu, l’air inquiet.
- Ça va ? demanda-t-elle d’une voix douce comme du miel.
La lapine frappa très fort son front de sa patte, désespéré par la réaction de sa création, qu’elle jugeait aussi absurde qu’inconsciente. Elle ne connaissait pas Panalap, et ne pouvait pas savoir s’il était agressif ou non. Un minimum d’instinct de survie l’aurait empêché de s’approcher aussi près et de prendre d’aussi gros risques. Heureusement, le lynx se leva doucement, sans mouvement brusque, et posa un regard bienveillant sur Calops.
- Ne t’inquiètes pas, prononça-t-il lentement. Je suis habitué à son comportement.
Son interlocutrice poussa un soupir de soulagement avant de poser un genou à terre, se prosternant avec grâce et déférence.
- Enchantée Panalap, annonça-t-elle d’un ton cérémonieux, au grand étonnement de Gloria. Je me nomme Calops, j’ai été créée par Gloria à la Source de Mana. Je suis ici afin d’apprendre quel rôle je vais devoir remplir.
Sa génitrice était estomaquée devant ce changement total d’attitude, les yeux ronds comme des soucoupes. A cette vue, leur hôte émit un ronronnement bruyant et enjoué. Il avait rapidement remarqué que la lapine sous-estimait beaucoup la licorne, qui pourtant semblait posséder un énorme potentiel. Toutefois, elle se reprit quasiment sur-le-champ et invita les deux autres à venir vers elle, afin d’éviter de converser trop fort et d’attirer l’attention d’êtres indésirables.
- La première chose à faire, commença Gloria, le regard fixé sur Calops, c’est de t’offrir une magie. Sans cela, tu n’es pas une Vilnes finie. C’est pour ça que nous sommes venus ici : Panalap va m’aider à canaliser mon mana pour ne pas te tuer d’une overdose. Par contre, j’espère que tu aimes les surprises, parce que je ne peux choisir que la puissance de ta magie, et pas ce qu’elle fait. Ça te convient ?
Les iris de jais de la jeune Vilnes pétillèrent de joie et d’anticipation à cette annonce, impatiente de recevoir cet adoubement exceptionnel. La lapine prit cela pour un oui et se tourna vers son vieux camarade, interrogative. Un autre ronronnement échappa à ce dernier, et il lui répond d’une voix emplie de joie de participer.
- Évidemment que j’accepte ! Je refuse de te laisser pédaler dans la semoule comme durant cette année.
Gloria sembla sourire à l’écoute des paroles du lynx, vue rare que Calops apprécia grandement. C’était la deuxième fois qu’elle pouvait observer ce plaisir invisible sur son visage depuis sa création, un plaisir qui la contamina facilement et la poussa à frotter son museau contre ses oreilles dressées, dans un geste affectueux.
- Que… Qu’est-ce que tu fous ?! hurla la lapine, profondément outrée.
Se sentant coupable de cette saute d’humeur, la licorne ne pipa mot et galopa sans hésitation vers la caverne inondée en guise de réponse.
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L’aide de Panalap fut extrêmement précieuse. En effet, éreintée par la naissance encore très récente de Calops, Gloria montrait de grandes difficultés à maîtriser correctement son flux manique. La licorne, elle, ne bougeait pas d’un poil, soucieuse de ne pas déconcentrer ses deux aînés, malgré son excitation. Étrangement, elle ne craignait absolument pas la mort qui pouvait pourtant survenir à tout moment.
Dans l’optique de donner une magie puissante à la jeune Vilnes, le processus avait été complexifié et rallongé. Cinq heures passèrent, et la lapine ne pouvait en voir la fin, trop absorbée dans son travail. Cependant, quelques minutes après, elle sentit le contrôle qu’exerçait le lynx se relâcher et, prenant peur de perdre tout pouvoir de régulation sur son mana, elle stoppa tout, quitte à rater entièrement la passation de magie. Heureusement, une fois sa vue revenue et son équilibre retrouvé, elle put admirer le spectacle qui se déroulait à une dizaine de mètres d’elle.
Calops dansait au milieu de la grotte, ses sabots fourchus claquant sur le sol rocailleux. De sa corne émanait une substance poudreuse rose, que la licorne pliait à sa volonté, lui faisant prendre différentes formes complexes avec une aisance remarquable. Tantôt une fine rapière, tantôt une imposante claymore, l’arme manique tournoyait dans l’air humide, dans un ballet impitoyable qui ne laissait pratiquement aucune ouverture.
Aucun des deux Vilnes ne s’étonnait de ce haut niveau de maîtrise pourtant très précoce. Eux-mêmes avaient pu assimiler en quelques minutes toutes les connaissances nécessaires sur leur magie, leur permettant un contrôle expert sur leurs pouvoirs. Cela leur conférait un avantage sans précédent sur les quelques autres espèces maniques, qui devaient apprendre à se servir de leur magie.
Une fois Calops calmée, cette dernière expliqua, d’un ton passionné, en quoi consistait sa magie. Elle pouvait créer des armes à partir de sa corne, constituées d’une poudre qui paralysait au simple contact. Elle pouvait également charmer autrui, dans une moindre mesure qu’Omeria toutefois. Gloria et Panalap applaudirent avec enthousiasme l’exposé de la licorne, tous deux émerveillés par cette nouvelle magie, de classe Rare. Il ne restait plus qu’une dernière décision à prendre.
- Et maintenant ? demanda le lynx, curieux de connaître la suite.
- Nous allons avoir besoin de temps, répondit gravement la lapine, une pointe de regret dans la voix. Je suis désolée mon ami, nous allons devoir attendre encore un peu avant de nous dévoiler. Six individus ne sont pas encore assez pour constituer un peuple.
- Ne t’en fais pas voyons ! Je peux bien patienter encore un peu. Par contre, même si ce n’est pas pour tout de suite, il nous faut un plan. Comment être reconnus en tant que nation ?
- L’intégration ! Nous allons nous intégrer avec les Phéris. Nous allons enfin révéler notre existence, et ils n’auront pas d’autre choix que de nous reconnaître !
- Et… S’ils décident que nous en sommes indignes, et essayent de nous chasser ?
Le regard bleu de Gloria se durcit, son visage fut déformé par la haine secrète qu’elle entretenait à l’égard du peuple principal de cette planète et son poing fissura la paroi de la caverne.
- Nous les écraserons. Nous effacerons ces êtres faibles et incapables de maîtriser le mana de la surface de cette planète.
Nous reprendrons ce qui est à nous, ce qui a toujours été à nous. J’ai créé cette planète.
Sa voix se mua en un grondement menaçant, pétrifiant sur place Calops et Panalap.
- Elle m’appartient.
== To be continued... ==
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En espérant que vous ayez apprécié !
